Avant d'entrer dans les détails de la construction et de la disposition de la soufflerie relativement au local qu'elle devra occuper, nous devons dire un mot sur les conditions que doit remplir une bonne soufflerie et exposer les perfectionnements que nous avons apportés dans cette partie essentielle de l'orgue.
La soufflerie d'un orgue est bien, sans contredit, la partie la plus importante de cet instrument colossal, car l'air qu'elle comprime étant le premier moteur du son, c'est la soufflerie qui donne la vie à tous les tuyaux dont se composent les divers instruments que l'orgue met à contribution. Le timbre, la qualité du son et le caractère de ces instruments dépendent principalement de la soufflerie, et la justesse des sons et la conservation de l'accord d'un orgue ne peuvent avoir lieu si la soufflerie ne réunit pas toutes les conditions nécessaires aux qualités que nous venons de signaler.
Une des premières conditions de la soufflerie est celle de fournir un vent égal et continu, car le ton des tuyaux varie d'intonation avec la pression de l'air qui les anime ; c'est-à-dire que le ton hausse lorsque le vent se renforce et qu'il baisse à mesure que le vent s'affaiblit, d'où il résulte qu'un orgue ne tient point l'accord s'il n'est pas pourvu d'un vent parfaitement égal.
Divers perfectionnements apportés successivement aux souffleries à réservoirs ont permis d'obtenir l'égalité de pression demandée : le système Cummins est aujourd'hui généralement adopté. Mais ce perfectionnement, indispensable pour assurer à l'orgue un accord stable, n'est pas le seul qui soit nécessaire. La puissance et la qualité des sons du plus grand nombre des jeux qu'il renferme est susceptible d'une grande amélioration. Si l'on considère, en effet, la puissance et la belle harmonie d'un orchestre composé d'une trentaine d'instruments seulement, comparativement à la faiblesse et à la maigreur des sons d'un orgue qui contient plusieurs milliers de tuyaux, on est étonné de voir que l'instrument qui réunit le plus de ressources ne déploie pas une plus grande puissance, relativement à sa grandeur. La principale cause de cette faiblesse réside pareillement dans la soufflerie, dont les dispositions connues jusqu'à ce jour ne permettaient pas de donner au son des tuyaux ni le volume ni le caractère qu'ils devraient avoir.
Jusqu'à présent, la pression du vent employé dans les orgues n'avait été que de 5 à 10 centimètres de colonne d'eau ; c'est entre ces deux limites que se trouvaient embouchées les orgues que nous avions eu occasion de vérifier avec un manomètre à eau : il est vrai que les jeux à bouche ou à flûte semblent devoir parler convenablement avec un vent de cette force ; mais il est certain que les jeux à anche (dans les tons élevés notamment) nécessitaient un vent plus comprimé.
Cependant, dans la fabrication des orgues, on ne tient habituellement aucun compte de cette observation importante ; chaque facteur choisit le degré de pression qu'il juge convenable à son orgue, en sorte que la même pression s'applique à tous les jeux indifféremment. Il en résulte que les jeux à flûte sont exposés à être alimentés par un vent trop fort, tandis qu'au contraire les jeux à anche ont généralement un vent trop faible. De là vient principalement que les jeux de trompette, clairon et autres, perdent dans l'orgue le caractère des instruments à vent dont ils empruntent le nom ; car, indépendamment de l'influence que l'anche métallique peut exercer sur la qualité du son des tuyaux, au lieu de l'anche des instruments à vent formée par les lèvres de la bouche, il y en a une autre : c'est la pression du vent sous laquelle ces mêmes instruments résonnent.
Il est facile de se convaincre en soufflant avec la bouche dans un manomètre à eau que la force du vent qu'on peut donner avec les poumons s'élève aisément à 50 centimètres d'eau et plus. J'ai vérifié par moi-même qu'elle arrive à 100 centimètres quand on souffle avec force.
Maintenant, si l'on souffle dans un instrument à vent tel que le cor ou la Trompette, on s'apercevra facilement, d'après l'effort avec lequel il faut souffler, que la pression du vent qui les fait sonner s'élève souvent à 50 centimètres d'eau, que les sons graves sont produits par un vent plus faible, et que les sons intermédiaires nécessitent une pression moyenne entre les deux.
Ces considérations suffisent pour expliquer le peu de puissance des jeux de l'orgue comparativement aux instruments d'orchestre, car nous avons vu plus haut que la pression du vent le plus fort employé dans les orgues n'a été jusqu'ici que de 10 centimètres de colonne d'eau, tandis que dans les instruments à vent cette pression est de 4 à 5 fois plus considérable.
Il n'est pas douteux que l'effet d'un orgue y gagnerait beaucoup, si l'on faisait parler les jeux à flûte avec la pression du vent qui leur convient. Les jeux à anche avec un vent plus fort tel qu'ils le réclament et mieux encore, que pour chaque période de son, d'octave en octave, il y eût un vent de l'intensité relative à la puissance qu'ils devraient avoir.
Pour obtenir ce résultat, il fallait chercher une soufflerie qui fût susceptible de donner des pressions de vent différentes, afin que chaque jeu et les diverses octaves fussent pourvues de la force de vent nécessaire.
Cette condition semble au premier abord facile à remplir, en appliquant une soufflerie différente pour chaque pression qu'on voudrait avoir ; mais, si l'on considère les inconvénients qui résulteraient d'une telle disposition, la question devient plus sérieuse.
D'abord, la multiplicité des soufflets de cette soufflerie exigerait un vaste emplacement qui la rendrait impraticable dans le plus grand nombre de cas.
Ensuite, comme la dépense du vent n'a pas lieu d'une manière uniforme, et qu'elle dépend du plus ou moins de jeux que l'organiste emploie, tantôt dans les notes graves, tantôt dans les tons élevés ou dans le médium, etc., il pourrait arriver qu'une soufflerie manquât de vent, tandis que les autres en contiendraient en abondance et que, par conséquent, le jeu de l'organiste se trouvât interrompu dans certaines notes du clavier pendant que les autres résonneraient comme avant ce contretemps.
Pénétré de ces inconvénients, nous avons inventé un nouveau système de soufflerie qui remplit parfaitement les fonctions que nous avons indiquées plus haut.
Il se compose d'une série de réservoirs superposés égale au nombre de pressions qu'on veut avoir et, quoique ces réservoirs soient alimentés par les mêmes pistons, la pression du vent qui leur est assignée ne peut être altérée en aucune manière par l'impéritie des souffleurs. La disposition de ces réservoirs est telle que, malgré l'intensité différente du vent que chacun doit fournir, ils communiquent entre eux au moyen de soupapes régulatrices et s'alimentent simultanément sans que jamais leur pression varie, ni qu'ils puissent manquer de vent tant qu'il y en a dans le 1er réservoir alimentaire.
Ce système de soufflerie, comme on a pu le voir par ce qui précède, renferme en lui-même la source des améliorations importantes dont la qualité des sons du plus grand nombre des jeux de l'orgue est encore susceptible.
Les jeux d'anches, principalement, se trouvant alimentés du grave à l'aigu par des pressions de vent d'autant plus fortes que les sons deviennent plus élevés, acquièrent ainsi un timbre homogène dans toute leur étendue qui met les dessus en rapport avec les basses.
Les diverses pressions dont nous avons parlé sont également d'un grand secours pour emboucher convenablement les nouveaux jeux harmoniques comme nous aurons lieu de le faire remarquer plus loin.
Un autre avantage qui résulte des principes sur lesquels repose cette soufflerie est celui d'éviter entièrement les secousses et les altérations qu'on remarque généralement dans les grandes orgues.
Les nombreuses applications que nous avons déjà faites de ce nouveau système de soufflerie, notamment aux grandes orgues de St-Sulpice et de Notre-Dame de Paris, justifient surabondamment les avantages que nous venons d'énumérer.
APPLICATION
Soufflerie à diverses pressions.
La soufflerie serait établie d'après notre nouveau système de construction, et d'une dimension en rapport avec le nombre et l'importance des jeux de l'orgue.
Indépendamment de la soufflerie alimentaire, il serait établi à l'intérieur de l'orgue, et à proximité des sommiers, plusieurs réservoirs régulateurs qui ont pour effet de régler la pression de l'air à l'endroit même où il se consomme, de manière à éviter toute altération dans la sonorité des jeux.
La soufflerie alimentaire serait mise en jeu soit par un moteur hydraulique, soit par tout autre moteur à vapeur ou à gaz, suivant les exigences de l'emplacement.
Des sommiers.
Les sommiers, comme l'a dit Don Bédos, « étant le fondement de toute la mécanique de l'orgue, il est important de les construire avec la plus grande attention et de leur donner les dimensions et la grandeur convenables. Il est nécessaire que le mécanisme de l'instrument puisse être disposé, non-seulement à jouer comme il faut, mais encore à être commode et d'un facile entretien. »
Ces réflexions, à la fois simples et précises de ce savant Bénédictin, embrassent d'une manière générale les conditions essentielles que les sommiers sont destinés à remplir. Nous devons, de plus, ajouter que la sonorité de l'instrument lui-même et la facilité de l'entretien de l'accord dépendent encore de la bonne disposition des sommiers.
Cette importante partie de l'orgue où se fait la distribution de l'air dans les différents tuyaux qu'elle anime exigerait, pour analyser avec détail les différentes fonctions qu'elle doit remplir, de trop grands développements qui ne sauraient trouver place ici. Nous nous bornerons donc dans l'exposé qui va suivre à indiquer la construction et la disposition des sommiers.
Sommiers à doubles layes.
Les sommiers seraient établis d'après notre nouveau système à doubles layes de soupapes ; l'une de ces layes alimente les jeux de fond, l'autre les jeux de mutation et les jeux d'anches. De cette manière les deux séries de jeux peuvent sonner ensemble ou séparément sans altération possible. Ces doubles layes donnent lieu en même temps à l'application de notre nouveau système de pédales de combinaison ci-après expliquées.
Du mécanisme.
Le mécanisme de l'orgue servant à mettre en jeu les différentes parties de cet instrument colossal et devant fonctionner par l'action seule de l'organiste a besoin d'être établi avec toute la solidité et toute la précision possible, afin que les résistances qu'il est destiné à vaincre puissent obéir à l'organiste avec prestesse et sans effort. L'effet d'un orgue peut être considérablement augmenté par les dispositions de son mécanisme ; la facilité plus ou moins grande avec laquelle il fonctionne et les ressources qu'il présente à l'artiste qui le met en jeu, doivent nécessairement ajouter à la variété de ses effets sonores et à sa puissance.
Nous devons examiner maintenant quelques dispositions particulières que nous avons cru devoir proposer.
Nous citerons en premier lieu l'application du levier pneumatique de Barker pour vaincre la résistance des touches. Cette invention, que nous avons été les premiers à appliquer aux grandes orgues de Saint-Denis, dès l'année 1840, et depuis cette époque dans un grand nombre d'instruments, offre, comme on sait, d'innombrables ressources à l'organiste ; elle serait introduite également dans l'orgue monumental de Saint-Pierre de Rome.
Des moteurs pneumatiques pour le tirage des registres.
Il serait établi et appliqué à cet orgue notre nouveau système de moteurs pneumatiques pour le tirage des registres, appliqué pour la première fois aux grandes orgues de Saint-Sulpice et de Notre-Dame de Paris, et qui offrent à l'organiste une infinité de ressources nouvelles.
Ces moteurs pneumatiques sont principalement destinés à vaincre la résistance de frottement des registres des grandes orgues, et à les faire mouvoir par une légère traction d'un bouton dont la course peut être limitée à 0m02. Ces moteurs sont à double effet, c'est-à-dire doués d'une double action comme le piston d'une machine à vapeur dans le cylindre, et développant la même puissance dans les deux sens. La force élastique de l'air comme celle de la vapeur dans le cylindre des machines agissant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, détermine le mouvement dans les deux sens, par le jeu alternatif des soupapes distributrices de l'air comprimé. Les soupapes remplissent dans le nouveau moteur pneumatique la même fonction que les tiroirs qui distribuent la vapeur dans le cylindre.
On sait que les registres des grandes orgues consistent en de longues règles de bois glissant à frottement entre la table du sommier et la chape sur laquelle viennent s'adapter les embouchures des tuyaux. Ces règles percées d'autant de trous qu'il y a de tuyaux à alimenter dans un jeu doivent être parfaitement ajustées pour bien étancher le vent et éviter les communications d'air qui pourraient s'établir entre des tuyaux voisins. D'où il résulte qu'il faut une traction assez énergique des mains de l'artiste pour mettre les registres en mouvement, et cette résistance est d'autant plus grande que l'orgue est plus considérable et que les sommiers sont plus étendus.
La transmission des mouvements des registres du clavier aux sommiers nécessitait par conséquent des leviers robustes solidement construits, tels que pilotes tournants en bois ou en fer, balanciers et autres pièces de mécanique encombrantes qui perdaient bientôt leur précision soit par l'usure des axes, soit par la torsion des arbres, soit par la flexibilité des points d'appui. Outre ces inconvénients, il y en avait un autre non moins grave pour l'organiste, c'est la dépense de force qu'il était obligé de faire pour tirer et repousser les jeux et l'attention soutenue qu'il devait déployer pour se reconnaître dans cette forêt de registres qui entourait son clavier.
Les nouveaux moteurs pneumatiques font disparaître tous ces inconvénients du mécanisme ordinaire. Placés à proximité des sommiers, ces nouveaux moteurs ont une action à peu près directe sur les registres et n'éprouvent, par conséquent, aucune déperdition de force. D'un autre côté, les boutons de tirage des soupapes distributrices étant de très-petit diamètre et faciles à manœuvrer, on peut en réunir un grand nombre dans un petit espace de chaque côté des claviers. Par ce moyen, l'organiste peut mettre en mouvement les registres du plus grand orgue avec autant de facilité que ceux du plus petit orgue expressif, et opérer sans le moindre effort tous les mélanges imaginables.
Ces moteurs pneumatiques n'offrent pas seulement la facilité de combiner les jeux au gré de l'artiste, mais l'appareil est disposé de telle façon que, par l'action d'un seul bouton correspondant à chacun des claviers, l'organiste peut, à son gré, préparer à l'avance et même pendant l'exécution d'un morceau telle combinaison de jeux qu'il lui plaît, et l'appeler instantanément par la traction d'un seul bouton de combinaison.
Comme cela a été indiqué au tableau des jeux, il y aurait deux boutons de combinaison pour chaque clavier, à l'effet de donner à l'organiste la facilité d'agir soit du côté droit, soit du côté gauche, suivant la liberté que lui laisse l'exécution de la musique qu'il fait entendre.
Des pédales d'accouplement et de combinaison.
Les pédales d'accouplement et de combinaison indiquées dans le tableau agissent sans effort et donnent à l'organiste une infinité de ressources nouvelles.
Ces pédales de combinaisons diffèrent essentiellement de ce qui avait été fait d'analogue dans les orgues anglaises et allemandes ; on trouve en effet dans ces instruments certaines pédales de composition destinées à appeler ou à supprimer divers mélanges de jeux préparés à l'avance par le facteur de l'instrument et qui se reproduisent toujours de la même manière.
Ainsi, par exemple, une pédale sert à appeler le plein-jeu, l'autre à le supprimer. Celle-ci sert à appeler les jeux de fond, celle-là les repousse, de telle sorte que chaque pédale opère un seul changement dans le mélange des jeux, et partant dans la sonorité de l'orgue, d'où il résulte qu'avec 10 pédales on produit dix changements, soit un changement par pédale.
Nos nouvelles pédales de combinaison ont un tout autre résultat ; elles laissent à l'artiste la faculté de grouper ses jeux comme il l'entend et d'appeler avec la même pédale toutes les combinaisons relatives au nombre de jeux correspondants à chaque groupe ; ainsi, par exemple : un groupe de six jeux peut être combiné de 63 manières différentes et appelé par une même pédale. Un groupe de dix jeux donne 1,023 combinaisons. Un groupe de douze jeux 1,613. Un groupe de vingt jeux donne 1,047,369 combinaisons.
Ces quelques exemples suffisent pour faire comprendre les avantages des pédales nouvelles de combinaison comparées aux anciennes, puisque chacune d'elle peut opérer au lieu d'un seul mélange autant de combinaisons que le comporte le groupe de jeux sur lequel elle agit, et qui, pour un groupe de vingt jeux, dépasse le chiffre d'un million de combinaisons.
Les nouveaux registres de combinaison agissant sur les moteurs pneumatiques, et étant fondés sur le même principe que les pédales de combinaison, offrent des avantages analogues, mais plus considérables, vu qu'ils agissent sur des groupes de jeux plus importants. Ainsi les registres de combinaisons de la pédale et du grand-orgue agissant chacun sur un groupe de 22 jeux peuvent fournir plus de quatre millions de combinaisons, chacun, soit 4,194,303.
APPLICATION
Mécanisme.
Le mécanisme général de l'orgue, les abrégés pour la transmission du mouvement des claviers aux soupapes des sommiers, les pilotes tournants en fer pour la transmission du mouvement des registres, de même que les différents leviers, seraient établis avec des matériaux de choix et ajustés avec précision.
Claviers à mains et de pédales.
Les claviers à mains seraient construits en bois de chêne de choix, plaqués en ivoire et en ébène, et les châssis en bois de palissandre.
Le clavier de pédales, de forme allemande, serait également construit en chêne, les dièzes plaqués en bois des Iles.
Les boutons de registre avec leur médaillon en porcelaine et tous les accessoires des claviers seraient établis avec le plus grand soin.
Ces claviers seraient placés sous l'arcade centrale de l'orgue sur un meuble élégant, et de façon à mettre l'organiste à même de voir directement le maître-autel.
De la construction des tuyaux.
La construction des tuyaux, indépendamment de leur forme, de la qualité de la matière et du principe sonore de leur embouchure, peut ajouter beaucoup à leur sonorité en même temps qu'à leur solidité et à leur durée.
L'épaisseur des parois est une des conditions essentielles pour obtenir une bonne qualité de son. La rigidité et la composition des mêmes parois influent également sur le timbre.
Les observations que nous avons eu lieu de faire sur les tuyaux d'orgue nous ont constamment démontré que les tuyaux dont les parois sont épaisses peuvent acquérir une grande sonorité, tandis qu'au contraire leur puissance se trouve considérablement amoindrie par l'effet de parois minces. La fonction des parois dans les tuyaux d'orgue semble plutôt destinée à réfléchir les ondes sonores de la colonne d'air que leur embouchure met en mouvement, qu'à renforcer le son par les vibrations propres des mêmes parois, comme on pourrait le supposer. Le timbre et la qualité de son des tuyaux doivent donc gagner au moyen des parois épaisses, car leur raideur augmente avec leur épaisseur et, comme nous l'avons déjà fait remarquer, les parois les plus résistantes sont les plus propres à bien réfléchir le son.
Quoiqu'une épaisseur considérable ne puisse jamais, suivant nous, nuire aux qualités sonores d'un tuyau, il y a cependant des limites auxquelles on doit s'arrêter, et qu'on ne saurait dépasser sans s'exposer à de grands frais inutiles ; mais, d'un autre côté, nous devons faire remarquer qu'on donne habituellement, aux parois des grands tuyaux principalement, une épaisseur trop faible qui ne permet pas d'en tirer beaucoup de son et qui compromet trop souvent et leur solidité et leur durée.
Des jeux harmoniques.
Les jeux de l'orgue tels qu'ils ont été établis jusqu'ici sont formés de tuyaux qui donnent le son fondamental. Ces jeux, dans les notes graves, rendent un volume de son convenable ; Mais ils deviennent faibles ou maigres de son à mesure qu'on arrive dans les tons élevés. Ce défaut qu'on remarque dans les orgues les mieux établies paraît intimement lié à la proportion des tuyaux dont se composent les jeux qu'on a pratiqués jusqu'à présent.
On sait, en effet, que chaque jeu est composé d'une série de tuyaux égale au nombre des touches du clavier, et que chaque tuyau donne l'intonation que représente la touche à laquelle il correspond. On sait également que les dimensions des tuyaux sont sensiblement proportionnelles en raison inverse du nombre des vibrations et que, par conséquent, les volumes de ces tuyaux sont entre eux comme les cubes des dimensions linéaires.
Nous aurons donc, en prenant l'ut le plus grave du clavier égal à l'unité, les séries suivantes :
Intonations : | ut 1 | ut 2 | ut 3 | ut 4 | ut 5 |
Vibrations : | » 1 | » 2 | » 4 | » 8 | » 16 |
Dimensions linéaires : | » 1 | » 1/2 | » 1/4 | » 1/8 | » 1/16 |
Volumes : | » 1 | » 1/8 | » 1/64 | » 1/516 | » 1/4096 |
Maintenant, si l'on admet (indépendamment de la force et de la qualité) que le volume du son d'un tuyau augmente ou diminue avec le volume d'air que contient sa capacité, on verra par le tableau précédent la rapidité avec laquelle les sons d'un jeu décroissent en volume du grave à l'aigu, et on ne sera plus étonné de la faiblesse et de la maigreur des tons élevés de l'orgue comparativement aux basses.
Il est vrai de dire que cette imperfection se trouve palliée dans plusieurs orgues, où les basses sont embouchées faiblement et les dessus avec force ; mais alors cette modification, tout en amoindrissant l'effet des sons graves, donne aux dessus une sécheresse de son qui les rend criards, sans qu'ils aient jamais cette homogénéité de timbre qui caractérise un bon instrument.
Les sons harmoniques des tuyaux, quoique connus et analysés depuis longtemps par les physiciens, n'avaient pas encore été appliqués à l'orgue. On sait que les sons de cette espèce ont une puissance et une rondeur qu'on ne peut jamais obtenir des tuyaux qui ne rendent que le son fondamental. La colonne d'air contenue dans les tuyaux qui donnent les harmoniques se partageant en deux, trois, quatre, etc., parties vibrantes, elle modifie les sons en leur donnant une meilleure qualité, en même temps qu'elle permet d'augmenter leur puissance, sans que, pour cela, ils deviennent criards.
Les instruments à vent d'un orchestre peuvent donner une idée nette de l'avantage des sons harmoniques sur le son fondamental.
La série des sons du cor, par exemple, étant produits par le même tube, les différents degrés d'intonation se manifestent par les sons harmoniques. On observe que les sons de cet instrument deviennent de plus en plus ronds, plus purs et plus beaux à mesure qu'ils sont plus aigus et, par conséquent, lorsque la colonne d'air se trouve divisée en un plus grand nombre de parties vibrantes.
La trompette, le cornet et autres instruments du genre du cor, mais de plus petites dimensions que ce dernier, n'ont pas la même suavité, ni la même rondeur. Les sons de ces divers instruments étant modifiés par une colonne d'air plus petite, semblent, en effet, diminuer de volume avec la colonne d'air qui les modifie.
Les sons de la flûte traversière, comparés à ceux de la petite flûte, peuvent aussi donner une idée de la supériorité qu'ont toujours les sons d'un instrument dont la colonne d'air contient plusieurs fois celle d'un autre de même nature, mais plus petit. On observe, en effet, si l'on fait entendre les mêmes intonations dans l'un et dans l'autre instrument (toutes choses égales d'ailleurs), que ceux de la flûte traversière ont un volume et une rondeur que ne peuvent jamais atteindre ceux de la petite flûte.
Les observations précédentes nous conduisent à cette conséquence : que les sons gagnent en rondeur et en volume à mesure que la colonne d'air qui les modifie devient plus considérable.
Comme nous l'avons déjà remarqué précédemment, les notes graves de différents jeux de l'orgue donnent un volume de son convenable à l'aide du ton fondamental du tuyau ; mais les notes intermédiaires du grave à l'aigu perdent de plus en plus de leur rondeur et de leur volume à mesure que les tons deviennent plus élevés. Pour remédier à cet inconvénient nous avons établi plusieurs jeux dont les tuyaux de la 1re octave de la basse parlent au son fondamental, ceux de la 2e octave font entendre le premier harmonique, ceux de la 3e octave le deuxième harmonique, ceux de la 4e octave le troisième harmonique et ainsi de suite successivement.
De cette manière, à mesure que les tons deviennent plus élevés, la colonne d'air des tuyaux devient plus considérable par rapport à leur intonation, et la qualité du son est rendue par ce moyen plus homogène dans toute l'étendue des jeux.
Il est à remarquer que les sons harmoniques exigent une pression de vent de plus en plus forte à mesure que la colonne d'air des tuyaux contient un plus grand nombre de parties vibrantes.
C'est surtout dans les jeux d'anche que cette augmentation de pression devient nécessaire pour donner aux sons des dessus toute la rondeur et la puissance qu'ils peuvent acquérir.
Notre nouveau système de soufflerie à diverses pressions dont nous avons déjà parlé, indépendamment de l'influence qu'il exerce sur les jeux ordinaires de l'orgue, est en même temps d'un grand secours pour donner aux jeux harmoniques toute la beauté de son dont ils sont susceptibles.
Les expériences auxquelles nous nous sommes livrés pour la détermination des sons harmoniques dans les tuyaux d'orgue, et sur lesquels la science n'avait pas encore de données bien positives, nous ont permis de créer plusieurs jeux nouveaux dont la supériorité et la priorité ont été constatées, par le jury de l'Exposition de 1839, lors des premiers essais des jeux harmoniques que nous avons introduits dans l'orgue soumis à son examen (1). L'application plus étendue que nous en avons fait depuis, aux grandes orgues de Saint-Denis (2), de Saint-Roch, de la Madeleine, de Saint-Vincent-de-Paul (3), de Sainte-Clotilde, de la Trinité et notamment aux orgues de proportion monumentale de Saint-Sulpice et de Notre-Dame de Paris (4), justifient suffisamment les avantages que présentent ces nouveaux jeux sur les jeux ordinaires de l'orgue.
(1) Voir le rapport de M. Félix Savart, de l'Institut, sur l'Exposition de 1839.
(2) Voir le rapport de M. le Baron A. Seguier, de l'Institut, sur la réception du grand orgue de la Basilique de Saint-Denis en 1841.
(3) Voir le rapport de M. Fétis sur l'Exposition universelle de 1855.
(4) Voir les rapports officiels sur la réception des orgues de Saint-Sulpice et de Notre-Dame, de Paris, 1862 et 1868.
SOMMAIRE
1o | Photographie du projet de buffet d'orgue et de la tribune. | |
2o | Avant-propos. Considérations et circonstances qui ont motivé l'étude et la publication de ce projet. | |
3o | Projet d'orgue monumental pour St-Pierre de Rome. Exposé résumé de la partie instrumentale. | |
4o | Buffet d'orgue. Un mot sur la construction et la décoration de ce buffet. | |
5o | Composition des jeux de l'orgue. | |
6o | Tableau résumé des jeux et des tuyaux dans leur intonation respective. | |
7o | Disposition des claviers. Gravures de la console. | |
Facture de l'orgue. |
||
8o | De la soufflerie. Perfectionnements apportés dans cette partie essentielle de l'orgue par M. A. Cavaillé-Coll. | |
9o | Application de la soufflerie à diverses pressions. Exposition de 1839. | |
10o | Des sommiers. Application des sommiers à doubles layes. Exposition de 1839. | |
11o | Du mécanisme. Invention du levier pneumatique de Barker. (Breveté en France en 1839.) 1re application au grand orgue de St-Denis en 1841. | |
12o | Des moteurs pneumatiques pour le tirage des registres. | |
13o | Des pédales d'accouplement et de combinaison. | |
14o | Mécanisme. | |
15o | Claviers à mains et de pédales. | |
16o | De la construction des tuyaux. | |
17o | Des jeux harmoniques. |
Avertissement de la version numérique
Mon exemplaire ne contenant pas la première partie de cet ouvrage, je ne peux pas la publier en version numérique. Aussi le lecteur devra t-il patienter avant que soit comblé ce manque. Si toutefois un lecteur se trouvait dans la possibilité (et l'envie...) de me fournir la partie manquante, il lui suffirait de m'écrire pour en faire profiter le plus grand nombre.