NOTICE ET RAPPORT

SUR L'ORGUE MONUMENTAL

PROJETÉ POUR LA BASILIQUE

DE

SAINT-PIERRE DE ROME

PAR

M. ARISTIDE CAVAILLÉ-COLL

FACTEUR DE GRANDES ORGUES
CHEVALIER DE L'ORDRE PONTIFICAL DE SAINT-SYLVESTRE
OFFICIER DE LA LÉGION D'HONNEUR

A PARIS






     Le 6 novembre de l'année 1875, M. A. Cavaillé-Coll eut l'honneur d'adresser à Sa Sainteté Pie IX un opuscule sur un projet d'orgue monumental pour la Basilique de Saint-Pierre de Rome.

     Dans une audience particulière obtenue le 22 décembre suivant, il eut le bonheur de présenter lui-même le projet à Sa Sainteté Pie IX, qui daigna accueillir cette démarche avec le plus bienveillant intérêt. Les circonstances, toutefois, empêchèrent d'y donner d'autres suites avant la fin du glorieux pontificat de Pie IX.

     D'après l'avis de plusieurs personnes qui s'intéressent à l'art religieux, M. Cavaillé-Coll a adressé, le 18 mars 1881, à Notre Saint Père le Pape Léon XIII, une supplique pour rappeler à Sa Haute Sollicitude ce vaste plan, dont la réalisation compléterait les splendeurs artistiques que les plus grands maîtres ont accumulées dans la Basilique de Saint-Pierre. L'architecture, la sculpture, la peinture y réunissent leurs plus imposants chefs-d'œuvre ; la musique seule, le plus religieux des beaux-arts, n'y possède pas le monument qui lui est consacré dans presque tous les temples chrétiens.

     La supplique et l'opuscule relatifs au projet furent présentés au Saint-Père par Mgr Cataldi, préfet des cérémonies de Sa Sainteté, qui voulut bien faire part à M. Simil, architecte et auteur de la partie décorative, de l'entretien qu'il avait eu avec le Saint-Père.

     « Léon XIII, dit-il, a trouvé le projet très-bien composé en vue de sa destination ; il a parfaitement compris que cette œuvre serait le complément nécessaire de la Basilique, que ce monument serait celui qui, au point de vue de l'art, laisserait une trace des plus glorieuses dans son pontificat »

     Ces paroles forment comme la consécration de l'idée conçue par M. Cavaillé-Coll. Une heureuse circonstance présente actuellement les conjectures les plus favorables pour y donner suite : la préparation de l'Exposition des produits de l'art et de l'industrie des catholiques, qui doit avoir lieu au Vatican en 1887, à l'occasion du Jubilé sacerdotal de Sa Sainteté le Pape Léon XIII.

     Dieu paraît, en effet, avoir ménagé à la catholicité une occasion unique, qu'elle saisit avec une enthousiaste allégresse, pour déposer un insigne tribut de splendeurs intellectuelles et matérielles aux pieds du Vicaire de Jésus-Christ.

     Peu de dons, certainement, revêtiraient un caractère aussi grandiose que l'instrument sacré, unique au monde par la grandeur et la richesse de sa conception, et formant le type monumental de tous les progrès accomplis de nos jours dans une des plus belles branches de l'art, qui viendrait prendre place au milieu de toutes les grandeurs de la Basilique apostolique.

     C'est donc, croyons-nous, l'heure vraiment propice pour constituer sur de larges bases une œuvre spéciale pour la réalisation du projet qui vient d'être exposé.

     Offert au Pontife-Roi par les catholiques de tous les pays, ce don vraiment royal laisserait dans Saint-Pierre une trace de gloire artistique digne peut-être de s'associer, elle aussi, à toutes les gloires du pontificat de Sa Sainteté le Pape Léon XIII.

     En attendant la réalisation même du projet, et afin de donner une idée plus exacte des proportions et de l'aspect de ce grand instrument par rapport aux dimensions et à l'architecture intérieure de Saint-Pierre, M. Cavaillé-Coll a eu la pensée d'établir un modèle de sa décoration extérieure, composée et dessinée par M. Simil, architecte à Paris.

     Ce modèle, destiné à l'Exposition du Vatican, a été exécuté et monté dans les ateliers du facteur, 15 rue du Maine, à Paris. Beaucoup de personnes éminentes dans les rangs du clergé et dans le monde de l'art et de la science ont témoigné, en venant le visiter, de l'intérêt qu'éveille l'entreprise dont s'inaugure ainsi le premier début. En tête, nous pouvons citer Son Excellence Mgr Siciliano di Rende, archevêque de Bénévent, alors nonce apostolique à Paris, et depuis cardinal ; Son Excellence Mgr Rotelli, nonce actuel ; Sa Grandeur Mgr Richard, archevêque de Paris ; MM. le vicomte de Damas, président ; le comte Yvert, vice-président ; le comte de Kreuznach, trésorier ; le vicomte de Lavilleboisnet, secrétaire du Comité français du Jubilé sacerdotal de Sa Sainteté Léon XIII, etc., etc.

     A la demande de M. Cavaillé-Coll, M. le Ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, a bien voulu inviter l'Académie des Beaux-Arts à nommer une Commission chargée d'examiner le modèle.

     Nous ne pouvons mieux faire que de citer ici un extrait du procès-verbal de la séance de l'Académie, au cours de laquelle la Commission a déposé son rapport. Les académiciens qui en ont fait partie étaient MM. Ambroise Thomas, Ch. Gounod, Reyer, Massenet, Saint-Saëns, Léo Delibes, de la section de composition musicale ; Cavelier et Barrias, de la section de sculpture ; Ch. Garnier et Ginain, de la section d'architecture.

     MM. Questel et Daumet, de la section d'architecture, M. Thomas, statuaire, et M. le baron Haussmann, académicien libre, s'étaient joints à la Commission.










INSTITUT DE FRANCE

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS



     Le Secrétaire perpétuel de l'Académie certifie, que ce qui suit est extrait du procès-verbal de la séance du 30 juillet 1887.

     M. Ch. Garnier, au nom de la Commission chargée d'examiner le projet d'orgue monumental que M. Cavaillé-Coll se propose d'exécuter pour la Basilique de Saint- Pierre de Rome, lit le rapport suivant :


  « MESSIEURS,

     « M. le Ministre de l'Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, a demandé à l'Académie des Beaux-Arts de nommer une Commission chargée d'examiner un modèle d'orgue monumental que M. Cavaillé-Coll se propose de construire pour la Basilique de Saint-Pierre de Rome.

     « Vous avez, Messieurs, nommé cette Commission, qui s'est rendue dans les ateliers de M. Cavaillé-Coll, et c'est en son nom que j'ai l'honneur de vous faire connaître son avis.

     « Tout d'abord, bien que nos confrères de la section de musique fissent partie de la Commission, celle-ci n'a pas eu à se préoccuper au point de vue musical. En effet, ce n'était qu'un modèle qui nous était présenté au dixième de l'exécution, et naturellement, il n'y avait aucun clavier, aucune soufflerie ni aucun tuyau utilisable. C'était donc seulement de la convenance de l'emplacement choisi et de la forme du buffet que nous avions à nous préoccuper.

     « Néanmoins, pour donner une idée de la puissance harmonique de l'instrument, nous pouvons dire que cet orgue aurait 155 registres ou jeux, 28 pédales de combinaison et environ 8,316 tuyaux comprenant toute l'étendue des sons perceptibles, soit dix octaves complètes, et que les grands tuyaux auraient 14 mètres de hauteur sur 0m,55 de diamètre.

     « Ce n'était pas sans une certaine appréhension que nous voyions une adjonction aussi importante être faite à l'entrée de la nef de Saint-Pierre. Ce superbe édifice, composé d'un seul jet dans sa partie intérieure, a une harmonie de composition qu'on pouvait craindre de voir détruite par la construction de cet immense buffet. Mais les craintes se sont dissipées à la vue du modèle, d'autant plus que les documents relatifs à la Basilique ayant été mis sous nos yeux, nous avons pu constater que l'intérêt architectural de l'Église de Saint-Pierre n'était pas dans la paroi du mur d'entrée du côté de la nef. Ce qui devait être caché par l'orgue n'ajoutait rien en somme à l'effet général de l'édifice, et votre Commission a pensé que, loin de nuire à l'aspect du vaisseau, l'arrangement proposé par M. Cavaillé-Coll pourrait au contraire fournir un motif de décoration très-heureux et formant comme un point de rappel du grand baldaquin placé sous la coupole.

     « En résumé, votre Commission, tout en faisant quelques réserves sur la difficulté de juger absolument cette question sur des dessins et un modèle, tandis qu'il faudrait être sur place pour émettre un avis définitif, croit néanmoins qu'au point de vue artistique l'emplacement choisi pour l'installation de l'orgue peut être adopté en principe.

     Il s'agissait ensuite d'examiner le projet en lui-même et de se rendre compte des moyens employés pour relier le buffet aux parois existantes. Disons tout de suite que la composition générale est d'un très-bon caractère, que les masses sont bien pondérées, et que les silhouettes sont fermes et harmonieuses. Cette composition, en somme, fait grand honneur à M. Simil, l'architecte qui l'a conçue et exécutée. Certes, il y aura sans doute quelques petites modifications de détail à apporter dans l'exécution, surtout dans les raccords des parties latérales inférieures ; mais ces petites observations ne touchent en rien à la conception du motif d'ensemble, qui se présente, largement et simplement.

     « On doit pourtant appeler l'attention de l'architecte sur l'arrangement de la trompe qui supporte le buffet avec la porte centrale, qui n'est pas tout à fait dans le caractère du reste ; mais nous devons ajouter que cet arrangement, d'après le dire de l'architecte, doit être modifié assez sensiblement, de façon à reporter le point de support, non pas, comme il est actuellement projeté, à partir du niveau du mur d'entrée, mais bien au niveau du tambour des portes de la Basilique. Le motif prendra ainsi plus d'assiette, et la trompe, ayant alors une saillie moins grande, sera plus facile à construire, en même temps qu'elle se reliera mieux avec l'ensemble du motif.

     « Il y aura aussi une question importante à étudier, c'est celle de la construction de l'orgue lui-même, c'est-à-dire le moyen de lui donner une grande stabilité. Le poids de ce buffet sera considérable, et il importe de le maintenir avec rigidité. Or, comme il faut conserver la tribune placée au-dessus du vestibule d'entrée, il sera nécessaire que les fers en potence qui doivent soutenir l'orgue soient pour ainsi dire encastrés dans les reins des voûtes. C'est une étude délicate qui devra être faite dans tous ses détails avant de commencer l'exécution, mais avec les ressources dont on dispose actuellement, il est certain que l'éminent architecte de l'orgue saura triompher des difficultés qui se présenteront.

     « Quoi qu'il en soit des résolutions qui pourront être prises à l'avenir, votre Commission vous propose de féliciter M. Cavaillé-Coll de son projet d'orgue pour la Basilique de Saint-Pierre et de lui donner la preuve que l'Académie s'intéresse toujours aux travaux artistiques faits avec conscience, talent et volonté. »

     Ce rapport, mis aux voix, est adopté ; il sera adressé à M. le Ministre de l'Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts.


  Pour extrait certifié conforme :

  Signé : EUGÈNE GUILLAUME.







     Nous terminerons cette courte notice en reproduisant le texte d'une apostille de M. l'abbé Cognat, curé de Notre-Dame des Champs, chanoine honoraire de Paris, Nancy, et Belley.

     « Le curé de Notre-Dame des Champs est heureux de joindre ses vœux à ceux de son cher et illustre paroissien, M. Cavaillé-Coll, pour que le grand projet d'orgue qu'il a conçu et dessiné, comme le couronnement de tant de travaux féconds consacrés au progrès de l'une des plus belles branches de l'art religieux, devienne, suivant ses intentions, le monument du Jubilé sacerdotal de notre grand et bien-aimé pape Léon XIII, et qu'une souscription soit ouverte parmi les catholiques de tous les pays, pour en procurer et assurer l'exécution.


« Signé : MERITAN,
« Chanoine honoraire,
« Curé de Saint-Sulpice. »
« Signé : J. COGNAT,
« Chanoine honoraire,
« Curé de Notre-Dame des Champs. »




PARIS. TYPOGRAPHIE DE E. PLON, NOURRIT ET Cie, RUE GARANCIÈRE, 8.

Gravure du projet - Présentation de l'ouvrage.