Frise

C V R I C V L V M
V I T Æ



D U Sieur Sébastien-Matthieu Cosson-Jacquet
né à Montpellier en Languedoc,
le 2o. Septembre de l'an I968 de Notre Seigneur.


    Détail des visites & séjours que j'ai fait dans plusieurs Villes du Royaume & autres Principautez Souveraines ; Sçavoir, dans les Evêchez d'Auch, Saint Omer, Troyes en France, & Straßburg & Dresden en Allemagne.


 

P R E M I E R E M E N T .


     I. JE suis né à Montpellier en Languedoc, le vingtième jour du mois de Septembre de l'an de Grâce I968. Mon père & ma mère n'étoient point nés en ce Pays Occitan, pas plus que mes Aïeux d'ailleurs.

Ma mère étoit née, pauvresse, en basse Bretagne, d'un père dont je porte aujourd'hui encore le nom, par respect pour celui que personne ne connoît point. L'on sçait seulement de lui qu'il abandonna femme & fille pour d'obscures raisons que personne ne sut jamais quoiqu'il soit possible d'en imaginer les fondements, connoîssant les méchantes humeurs de ma grand-mère maternelle, sa femme, que je tais. Ayant eu une enfance difficile, ma mère conçuë fort jeune le dessein d'entrer en Religion pour y épouser Jésus Christ. Mais les voies de notre Notre Seigneur (qui toujours, nous restent impénétrables) en décidèrent autrement en dictant à la Mère Abbesse de la Sainte Congrégation du Prado de concidérer les manquements de ma mère à leur plus juste valeur. L'Abbesse s'exécuta aussitôt & fit part à sa fille de son désarroi devant le spectacle déplorable qu'offroit sa plus grande faiblesse : une aptidude démesurée à poser trop de questions, faculté dont j'ai, par la grâce divine, hérité de tous les principes qu'aujourd'hui encore, je m'employe à cultiver.

Mon père étoit de Xaintonge né d'un père boucher & d'un grand-père grainetier. Le père de sa mère, François avoit une boutique de fabrication & de réparation de chaises. J'ai pour lui beaucoup de convenances (même s'il est mort il y a bien longtemps & que je ne l'ai jamais connu) car il avoit, selon les dires que j'ai pu en entendre, beaucoup de ressemblances avec moy. Il sçavoit fabriquer de forts beaux meubles & possédoit le goût des choses peu communes. Il est mort le 28 avril de l'an I9o2 après avoir malencontreusement éprouvé un de ces feux de Bengali que l'on fait communément brûler le jour du I4 juillet en ce Royaume de France. La gangrène ayant envahie la plaie, il ne s'en fallut pas plus d'une semaine pour le rappeler à Dieu & laisser son épouse Azélia & ses trois filles, Olympe, Marie (ma grand-mère) & Isabelle, seules face à l'exigence de ce Monde si dur qui n'alloit point tarder à être dévasté par la Terrible Guerre.

Comme tous les hommes valides de sa génération, mon grand-père Maurice, père de mon père & mari de Marie, connu de très-près les obus de Verdun ; sans doute est-ce pour cela qu'il est resté chez nous un dégoût de tout ce qui regarde les choses militaires ; les hommes ne sont point fait pour se détruire & c'est aller contre nature que d'imaginer le contraire.

Mon père fréquenta dès son plus jeune âge, l'institution Religieuse de Recouvrance, à Xaintes. Très-tôt, il conçut lui aussi le dessein d'une vocation sacerdotale mais, à la différence de ma mère, il n'y eut d'une part, aucune mère Abbesse pour l'y en empêcher, &, de l'autre, sa nature n'étoit point autant sujette à l'affection des questions importunes.

Malgrès toutes ces bonnes disposition à la Très- Sainte Élévation de l'Âme, cela n'empêcha point le Malin (qui partout rôde en ce monde tanquam leo rugiens, circuit, quærens quem devoret + + +) d'accomplir son entreprise démoniaque &, après avoir laissé Père oeuvrer une bonne dizaine d'années au sein de la Très-Sainte Église Catholique Apostolique & Romaine, d'unir en la chair Père & Mère pour ma plus grande gloire & ma plus grande damnation à la fois. Tels Éloïse & Abélar, obligés de fuir loin devant le scandale & la honte qui les accabloient, ils conçurent l'idée d'embrasser la Religion Réformée & s'en furent se réfugier dans les Cévennes, là où les Huguenots les accueillirent au Désert. Père forma même le dessein de devenir Pasteur ; mais après quelques mois passés à faire plus ample connoîssance de la R.P.R, il répudia ce dessein & n'y revint plus jamais.

C'est ainsi que j'ai passé mon enfance, à Saint Hippolyte de la Planquette, ville soumise à l'autorité de l'Évêchez d'Alais, en Cévennes, entouré des miens, Père & Mère, mais aussi d'une Grande Soeur très-aimée, prénommée Emma & mes souvenirs de ce temps là ne sont faits que de collines brulées de Soleil, d'odeurs de thym & de lavande mêlés & de chants délicieux des petits oyseaux.

Il vint un jour où tout cela prit fin. Mère fut appelée là où d'aucun ne sçait rien & ce fut pour moy grande peine.




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