I

DES TUYAUX A BOUCHE OU A FLUTE
DU PRINCIPE SONORE DE CES TUYAUX



     Les vibrations de l'air dans les instruments à vent ont été analysées dans différents ouvrages d'acoustique ; mais aucun, à ma connaissance du moins, n'indique d'une manière claire et précise quel est le moteur du son dans les tuyaux à bouche ou à flûte. L'exercice de ma profession de facteur d'orgues me met journellement à même d'observer et de faire des expériences sur des tuyaux de grandes dimensions. C'est le résultat de ces observations que je vais consigner ici, en indiquant quel est selon moi le principe sonore des tuyaux à flûte.

     On sait que l'air soufflé dans l'embouchure d'un tuyau sort par une petite ouverture rectangulaire nommée la lumière, et que cet air ainsi soufflé frappe le bord anguleux d'une ouverture transversale nommée la bouche et met en vibration la colonne d'air contenue dans le tuyau. C'est, en effet, l'air soufflé dans l'embouchure qui est le moteur du son ; mais le mode dont il exécute et communique ses vibrations à l'air contenu dans le tuyau n'est pas moins essentiel à connaître.

 

§ 1er.

     En faisant parler des tuyaux de flûte de seize pieds, je crus m'apercevoir, en présentant la main devant l'ouverture de la bouche, que la lame d'air sortant par la lumière exécutait des vibrations du dedans au dehors du tuyau, comme pourrait faire une lame vibrante métallique qui serait placée dans la même direction que le courant d'air, et fixée par l'une de ses extrémités entre les parois de la lumière. Cette première observation me fit penser que la lame d'air exécutait ses vibrations comme une anche libre métallique qui serait apposée à l'ouverture de la bouche du tuyau. Je cherchai alors à rendre sensible à l'œil ce mode de vibration, et en présentant devant l'ouverture de la bouche la flamme d'une bougie, celle-ci était attirée et repoussée alternativement du dedans au dehors du tuyau par les vibrations de la lame d'air. Une bande de papier présentée de la même manière exécutait également des vibrations transversales, ce qui confirmait de plus en plus mon opinion. Je pris alors une bande de papier de toute la largeur de la bouche du tuyau, et je la collai d'un côté sur la paroi inférieure de la lumière, de manière que la partie libre de cette bande fermât en entier l'ouverture de la bouche, comme la lame d'une anche libre. Je fis sonner le tuyau, et cette lame de papier entra en vibration avec la lame d'air de la même manière qu'une anche libre.

     Ces diverses expériences venant à l'appui l'une de l'autre, j'ai été fondé à croire que le moteur du son dans la flûte est une anche libre aérienne.

 

§ 2.

     En admettant ce principe sonore pour les tuyaux à flûte, on conçoit comment cette lame vibrante communique ses vibrations à l'air contenu dans le tuyau ; mais est-ce cette lame qui détermine le nombre de vibrations de l'air contenu dans le tuyau, ou bien est-ce l'air contenu dans le tuyau qui détermine le nombre des vibrations de la lame ?

     Dans les tuyaux à anche de l'orgue, c'est la lame vibrante qui détermine le nombre de vibrations ou l'intonation ; mais on n'obtient une bonne qualité de son qu'autant que les vibrations de la lame sont en rapport avec celles de l'air contenu dans le tuyau.

     Dans les tuyaux à flûte, au contraire, il paraît que c'est l'air contenu dans le tuyau qui détermine le nombre des vibrations de la lame aérienne qui lui imprime le premier mouvement, car la hauteur de la bouche restant la même, si l'on raccourcit la longueur du tuyau, l'intonation change dans le rapport des longueurs du tuyau sans que la lame ait une influence sensible sur cette intonation ; ce qui prouverait bien évidemment que dans les tuyaux à flûte c'est l'air contenu dans le tuyau qui détermine le nombre des vibrations de la lame aérienne. Ce phénomène, particulier aux tuyaux à flûte, nous semble s'expliquer par la grande mobilité de cette lame d'air, qui se met toujours en rapport avec les vibrations de l'air contenu dans le tuyau. Cependant, quoique la longueur de la lame d'air, déterminée ici par la hauteur de la bouche, n'ait pas une influence sensible sur l'intonation, comme cela a lieu dans les tuyaux à anche, il est bon de faire remarquer que la hauteur de la bouche a beaucoup d'influence sur la qualité du son, et que l'on n'obtient la pureté du son, dans ceux-ci comme dans les tuyaux à anche, qu'autant que la hauteur de la bouche, et par conséquent la longueur de la lame vibrante aérienne, est parfaitement en rapport avec les vibrations de l'air contenu dans le tuyau.

 

§ 3.

     L'analogie que nous prétendons exister entre le principe sonore des tuyaux à flûte et celui des tuyaux à anche, pourrait servir à fixer les conditions les plus convenables que doit réunir la bouche d'un tuyau pour donner la bonne qualité et la pureté du son ; car, comme la lame vibrante des tuyaux à anche est d'une matière solide et qu'il est facile de discerner ses meilleures dispositions, on pourrait, en procédant par analogie, déterminer les meilleures conditions de la lame vibrante aérienne des tuyaux à flûte. Or, dans les tuyaux à anche, indépendamment de l'influence du corps sonore sur le timbre et la qualité du son, la position et la forme de la lame vibrante, nommée la languette, ont aussi la plus grande influence sur la qualité du son et particulièrement sur la stabilité de l'intonation du tuyau.

     Voici les conditions indispensables indiquées par l'expérience :

     1o La surface de l'anche sur laquelle bat la languette doit être parfaitement plane ;

     2o La surface d'application de la languette doit présenter une portion de surface courbe tangente avec celle de l'anche, à l'extrémité fixe de la lame, de manière que, si l'on force l'extrémité libre de la languette à toucher la surface de l'anche, elle coïncide parfaitement dans toute l'étendue ;

     3o La courbure de la languette doit être plus ou moins prononcée, suivant la force du vent qui la met en vibration et à laquelle elle doit faire équilibre ;

     4o L'épaisseur de la languette peut être égale dans tous les sens, ou diminuée progressivement dans le sens de la longueur ; mais il faut toujours que cette diminution ait lieu symétriquement dans le sens de la largeur ;

     5o L'homogénéité et l'élasticité de la matière de la languette concourent également à la qualité du son et à la stabilité de l'intonation. Ces diverses conditions semblent indiquer que les fermetures périodiques qu'opère la languette en vibrant sur l'ouverture de l'anche, et que l'isochronisme des vibrations, et par conséquent la stabilité de l'intonation du tuyau, ne peuvent avoir lieu qu'autant que toutes ces conditions se trouvent réalisées.

     Les mêmes conditions sont exigibles dans les anches battantes et dans les anches libres. Il est toutefois bon de faire observer que la lame vibrante de l'anche libre, indépendamment des conditions indiquées ci-dessus, doit s'ajuster en outre à l'ouverture de l'anche, de manière qu'elle puisse vibrer dans cette ouverture sans en toucher les parois, mais en laissant le moins de jour possible entre ses contours et les mêmes parois ; car, si la lame ne remplissait pas exactement l'ouverture de l'anche, la qualité du son se trouverait dénaturée. Le vent qui s'échappe alors continuellement entre l'anche et la languette semble porter obstacle au développement des ondulations qu'engendre la lame dans son mouvement vibratoire, et le son en est considérablement affaibli.

     Cette observation viendrait encore à l'appui de ce que nous avons déjà dit plus haut : que les fermetures périodiques de la languette sur l'anche doivent avoir lieu parfaitement pour obtenir la meilleure qualité du son et la stabilité la plus parfaite de l'intonation.

     Maintenant que nous avons examiné l'influence de l'anche et de la languette sur la qualité du son des tuyaux à anche, essayons d'en appliquer les principes à l'anche libre aérienne des tuyaux à flûte.

     On peut assimiler l'ouverture de la bouche d'un tuyau à flûte à l'ouverture de l'anche d'un tuyau à anche, avec cette seule différence que dans l'ouverture de l'anche la longueur excède de beaucoup la largeur, et que, dans l'ouverture de la bouche d'un tuyau à flûte, c'est la largeur qui a ordinairement la plus grande dimension.

     Le courant d'air qui sort par la lumière d'un tuyau à flûte peut également être assimilé à la languette d'une anche libre. Cela posé, il est d'abord facile de disposer l'ouverture de la bouche de manière que le bord anguleux opposé à la ligne de la lumière soit dans un même plan avec cette lumière ; mais il n'est pas aussi facile de donner à la lame d'air qui sort par la lumière, et qui doit vibrer dans l'ouverture de la bouche, la direction et la densité convenables pour obtenir la meilleure qualité du son.

     La forme et la disposition des parois de la lumière paraissent avoir la plus grande influence sur la direction du courant d'air et sur la forme de cette lame vibrante aérienne. Des expériences précises sur l'écoulement des fluides aériformes pourraient servir à déterminer à priori les dispositions les plus convenables des parois de la lumière, pour que l'écoulement se fit à pleine lumière, de façon à obtenir une lame d'air dont la direction et la densité ne laissent rien à désirer ; ce qui devrait nécessairement apporter une grande amélioration dans la qualité du son. Mais sans vouloir rien préjuger à l'avance, ni nous engager, quant à présent, dans une question si neuve encore et si compliquée, examinons d'abord les différents modes d'embouchure dont on fait usage pour les tuyaux à flûte, et si nous ne pouvons rendre sensibles à l'œil la forme et la direction de la lame d'air, nous pourrons du moins nous l'expliquer par la pureté et la qualité du son obtenues dans les divers systèmes d'embouchure.

 

§ 4.

     Les figures 2, 3 et 4 représentent (en coupe perpendiculaire à la ligne de la lumière) les trois systèmes d'embouchure employés pour les tuyaux de bois. Chacun d'eux a la propriété de donner au son une qualité distincte, et qui paraît résulter particulièrement des diverses formes que prend la veine fluide, en passant par des lumières dont les parois sont différemment disposées.

     Dans l'embouchure représentée figure 2, la lame d'air paraît sortir d'une manière divergente, car le son n'est pas pur. On entend souffler des parcelles de vent qui ne font point corps avec la lame principale, et de plus la fixité de l'intonation n'est pas facile à obtenir. Ce système de tuyaux octavie facilement, et on ne parvient à leur conserver le son fondamental qu'en agrandissant la hauteur de la bouche au delà de ce qui est nécessaire avec d'autres systèmes d'embouchure ; ce qui dénature encore davantage la qualité du son.

     Un phénomène qu'il est bon de noter, c'est qu'au moment de la production du son on entend un sifflement très aigu, qui le précède, et qui disparaît aussitôt que le véritable son du tuyau se fait entendre. Je ne saurais expliquer ce phénomène singulier, si ce n'est par la direction indéterminée de la lame d'air au premier instant de l'insufflation. Il semblerait, dans ce premier moment, qu'elle exécute des vibrations longitudinales, avant de vibrer transversalement, pour se mettre en équilibre avec les vibrations de l'air contenu dans le tuyau. Ce premier son ou sifflement est en effet si aigu, qu'il semble produit par un tout petit tuyau dont le corps sonore aurait, tout au plus, pour longueur la hauteur de la bouche du tuyau principal.

     Le même phénomène se manifeste plus sensiblement encore dans les tuyaux de métal qui ont le même système d'embouchure, comme les représente la figure 8.

     L'embouchure représentée figure 3 est bien préférable à la première. La lame d'air paraît se former d'une manière plus parallèle. La direction semble plus sûre et la densité plus parfaite : le son est en effet mieux déterminé, et la qualité et la force augmentent dans le même rapport. La forme et la position de la paroi intérieure de la lumière pourraient faire supposer (en raison de la saillie au delà de la lèvre ou paroi antérieure) que la lame d'air se dirige plutôt en dehors qu'en dedans du tuyau ; mais l'expérience prouve que c'est l'effet contraire qui a lieu. La lame tend plutôt à entrer dans le tuyau, et presque toujours on est obligé de modifier la paroi antérieure pour porter le courant d'air en dehors et lui donner sa véritable direction. Cela peut s'expliquer par l'adhérence que prend le courant d'air à cette paroi de la lumière. Du reste on peut vérifier ce fait par l'expérience suivante :

     Si l'on présente un obstacle de côté ou d'autre du courant d'air, la lame d'air adhère à cet obstacle, et elle tend à glisser le long de sa surface. J'ai vérifié qu'en présentant un cylindre d'un côté de la lame d'air, comme le représente la figure 10, elle prend une adhérence complète à sa surface et une direction perpendiculaire à la direction primitive ; ce qui prouve que le courant d'air est attiré contre l'obstacle présenté, au lieu de s'en éloigner, et fait voir, en même temps, combien la disposition et la constitution des parois de la lumière peuvent avoir d'influence sur la forme et sur la direction de la lame d'air.

     Cette expérience pourrait servir aussi à expliquer pourquoi le son perd de sa pureté lorsqu'on arrondit les arêtes qui terminent les parois de la lumière. Il paraîtrait dans cette circonstance que l'adhérence de la veine fluide contre l'arête arrondie détache une couche d'air de la veine principale, laquelle s'échappe continuellement d'un côté ou d'autre de la lame et produit un soufflement qui se mêle avec le son et dénature sa qualité.

     Quoique ce système d'embouchure soit un des plus convenables que l'on connaisse pour les tuyaux de bois, il est néanmoins nécessaire de tâtonner beaucoup pour arriver à donner à la lame d'air la direction et la forme nécessaires à une bonne qualité de son. Voici cependant quelques faits que l'expérience fait connaître :

     1o La paroi inférieure de la lumière doit être bien plane et située dans le prolongement de la face intérieure du tuyau qui porte le biseau ;

     2o La paroi supérieure, soit qu'elle présente une surface plane ou courbe, doit être telle que toutes les lignes que l'on pourrait y mener perpendiculairement à la direction du courant soient toujours parallèles à la paroi inférieure de la lumière ;

     3o Les arêtes qui terminent les parois doivent être vives et non arrondies ;

     4o La saillie de la lèvre inférieure doit être proportionnée à la hauteur de la bouche du tuyau, environ un dixième de cette hauteur.

     La figure 4 représente un système d'embouchure qui paraît avoir beaucoup d'analogie avec celui que nous venons d'examiner. Cependant le son que l'on obtient dans ce système d'embouchure diffère de celui que l'on a avec l'embouchure figure 3.

     Pour compléter leurs propriétés caractéristiques, nous dirons que le son obtenu par l'embouchure figure 4 a plus de mordant et de pureté et que celui de l'embouchure figure 3 a plus de force et d'énergie. Ces différences paraissent venir, non pas des lèvres de la lumière, puisqu'elles ont les mêmes dispositions dans l'un et dans l'autre système, mais de la disposition de l'ouverture de la bouche du tuyau. Dans la figure 3, la lame vibrante se trouve contenue entre deux côtés, ou oreilles, qui semblent contribuer à la sûreté de la direction de la lame, tandis que dans la figure 4, la lame d'air, au sortir de l'embouchure, se trouve tout à fait isolée.

     Ce système d'embouchure a cependant quelque chose de plus avantageux que le précédent pour l'exécution de ses diverses parties ; car la lèvre inférieure de la lumière et la paroi du tuyau qui porte le biseau de la bouche se trouvant dans le même plan, cette disposition permet de dresser ces deux parties ensemble et d'obtenir ainsi plus d'exactitude dans la direction de la lame d'air. Le son qui en résulte a beaucoup de charme ; mais on ne peut pas lui donner la force que l'on obtient avec l'embouchure représentée figure 3.

     Dans les tuyaux de métal, il n'y a guère qu'un seul système d'embouchure en usage ; mais il a subi quelques légères modifications dans les diverses applications de la pratique, et nous allons les suivre dans les figures suivantes :

     En examinant les figures 5, 6, 7 et 8, on voit que, les lèvres ou parois inférieures des lumières étant les mêmes dans les quatre figures, les différences ne viennent que de la forme et de la position des lèvres supérieures de ces mêmes lumières. Or, comme les tuyaux de métal se composent ordinairement d'un cylindre creux nommé le corps sonore et d'un cône nommé le pied du tuyau, par lequel le vent s'introduit, c'est de la manière d'aplatir les bouches que viennent les différentes qualités du son.

     On conçoit aisément que la forme de l'aplatissement des bouches, et surtout celle de la portion du pied du tuyau devant former la lèvre supérieure de la lumière, on conçoit, dis-je, que cette forme puisse donner à la lame d'air une direction et un degré d'homogénéité plus ou moins bons dans les différents systèmes.

     La figure 7 présente le système qui paraît le plus convenable. Le son que l'on obtient est très pur et possède un grand degré de sûreté dans l'intonation, c'est-à-dire qu'il reste au son fondamental du tuyau sans passer aux sons harmoniques, quoique l'on fasse varier la force du vent qui le fait sonner.

     Le système représenté figure 6 donne aussi un son très pur, mais le son fondamental passe facilement au son d'octave quand on force un peu le vent ; ce qui permet de dire que la direction de la lame d'air n'est pas aussi sûre dans ce système d'embouchure que dans le précédent.

     La figure 5 représente la forme que l'on donne ordinairement aux tuyaux de décoration ou de montre. Dans ce système, la lèvre supérieure de la lumière se trouvant parallèle à l'axe du corps sonore, la lame d'air est presque toujours dirigée en dehors du tuyau, et on ne parvient à lui donner la direction convenable qu'en enfonçant la lèvre inférieure en dedans du pied, ce qui dénature la qualité du son, comme nous le verrons plus bas.

     J'ai remarqué, en embouchant des tuyaux de métal, qu'il était nécessaire, dans ceux-ci comme dans les tuyaux de bois, que la lèvre inférieure de la bouche fût toujours un peu en saillie sur la lèvre supérieure. Cette saillie m'a paru, en outre, devoir être égale à l'épaisseur de la matière du pied, ou, ce qui revient au même, à l'épaisseur de la lèvre supérieure, comme le représente la figure 9. Il semblerait que cette saillie conserve la direction à la lame d'air, et que, dans l'excursion des vibrations de la lame vibrante aérienne, l'adhésion qu'elle semble avoir avec la saillie de la lèvre inférieure la ramène dans sa direction primitive, sans qu'elle puisse s'en écarter, quoique l'on fasse varier l'intensité du vent.

     Lorsque la position des parois de la lumière est telle que la lame d'air se dirige en dehors du tuyau, on la ramène en dedans en enfonçant peu à peu la lèvre inférieure de manière à diminuer la saillie ; mais lorsqu'il arrive que l'on est obligé de faire disparaître entièrement cette saillie de la lèvre inférieure, le son perd de sa pureté ; il n'a plus le même mordant ni la même fixité dans l'intonation ; il passe facilement à son premier harmonique (à l'octave), et le timbre n'est plus le même, par ce seul changement. Il est mieux, dans ce cas, de retrancher une portion de la lèvre inférieure de manière à porter le vent plus en dedans du tuyau, et en sorte que la saillie de cette lèvre se conserve comme nous l'avons observé plus haut.

     Quelques facteurs d'orgues font les lèvres inférieures à angle vif, comme le représente la figure 6. On obtient également des sons très purs par ce moyen ; mais le son fondamental du tuyau n'a pas, dans ce cas, la fixité convenable. L'insufflation plus ou moins forte le fait passer facilement aux sons harmoniques.

     En résumant ce qui vient d'être dit sur les tuyaux de métal, nous dirons que les bouches des pieds doivent être aplaties de façon à donner la direction convenable à la lame d'air, tout en conservant la saillie de la lèvre inférieure ; et dans ce cas, je choisirai la forme indiquée par les figures 7 et 9. Quant à la manière d'aplatir les bouches des corps sonores, je crois qu'elle n'a aucune influence sur la qualité du son ; car il suffit que l'extrémité du biseau se trouve directement opposée à la lumière du tuyau.

 

§ 5.

     Maintenant examinons un phénomène assez singulier qui a lieu particulièrement dans les tuyaux de métal.

     Il arrive très souvent (même avec les meilleurs systèmes d'embouchure aujourd'hui en usage) que le son a une certaine âpreté ; ou un frisement désagréable. L'expérience a fait découvrir qu'en faisant de petites incisions (qu'on appelle les dents) de distance en distance sur la lèvre inférieure, on faisait disparaître cet inconvénient, et le son devient en effet plus pur. Il semblerait par là qu'on divise la lame d'air en autant de petites lames qu'il y a d'incisions sur la lèvre inférieure et que ces petites lames vibrent avec plus d'ensemble que lorsqu'elles ne forment qu'une seule et même lame d'air. Ce phénomène se fait remarquer dans presque tous les tuyaux de métal. Il y a cependant quelques exceptions : on trouve, dans une même série de tuyaux dont se compose un jeu de l'orgue, certains tuyaux auxquels on pourrait éviter de faire des dents, le son étant aussi pur sans cette opération.

     Il est à remarquer que ce sont toujours les deux extrêmes, les plus grands et les plus petits d'un jeu, qui parlent le mieux sans qu'il soit nécessaire de leur faire les dents dont nous venons de parler, et que, d'un autre côté, les tuyaux intermédiaires donnent le plus de difficultés à bien emboucher. On est presque généralement contraint à faire des dents à ceux-ci ; cependant, comme il y a des cas particuliers qui montrent que deux tuyaux de même forme et de mêmes dimensions donnent des qualités de sons aussi pures l'un avec les dents, l'autre sans avoir recours à ce moyen, tout cela porte à croire que le principal inconvénient résulte de la difficulté qu'il y a à diriger la lame d'air de manière qu'elle rencontre parfaitement dans toute sa largeur le biseau qui lui est opposé, et qu'elle puisse vibrer en conservant sa forme toujours parallèlement à la ligne du biseau.

     D'après ce que nous avons déjà remarqué § 1er, en examinant les conditions qui donnent la pureté du son aux tuyaux à anche, ne peut-on pas supposer qu'il se produit ici un effet analogue à celui d'une lame vibrante métallique qui, ne dégauchissant pas sur l'anche, fait entendre un son variable et de mauvaise qualité ? L'effet que l'on observe dans un tuyau d'anche, dans ce cas, est identique avec celui d'un tuyau à flûte qui frise. La même âpreté du son se manifeste dans l'un et dans l'autre tuyau, avec la seule différence qui résulte naturellement de la matière des deux lames vibrantes, l'une métallique, l'autre aérienne.

     Il est évident que la forme et la direction de la lame d'air d'un tuyau à flûte résultent implicitement de la forme et de la disposition des parois de la lumière : or, ne peut-on pas supposer que cette lame d'air peut prendre une direction telle que d'un côté de la lumière la lame soit bien dirigée sur le biseau, tandis que de l'autre côté elle se dirige ou en dessus ou en dessous de ce même biseau et présente ainsi une surface gauche ? Cela peut avoir lieu bien évidemment par la moindre altération dans les parois de la lumière ; et dès lors on conçoit, comme nous l'avons remarqué pour les jeux d'anche, que les fermetures périodiques qu'exécute la lame dans son mouvement vibratoire n'ont pas lieu instantanément, comme paraît l'exiger une bonne qualité de son ; et de plus, cette lame gauche s'appliquant d'un côté sur l'ouverture de l'anche avant que l'autre côté de cette même lame soit en contact avec l'anche, le premier côté tend à se relever avant l'autre, et la lame forme ainsi successivement une surface gauche symétrique des deux côtés de l'axe de vibration.

     De ces changements de forme successifs qui n'ont pas lieu d'une manière naturelle paraît résulter, indépendamment de la mauvaise qualité du son, la variabilité ou l'instabilité de l'intonation du tuyau. Maintenant, on pourrait se faire une idée du changement que l'on opère à la qualité du son d'un tuyau de flûte, lorsqu'on fait des dents à la lèvre inférieure.

     Il est clair que si l'on divise ainsi la surface gauche de la lame d'air en plusieurs petites lames, celles-ci deviennent presque planes par rapport à leur peu d'étendue, et les fermetures périodiques dont nous avons parlé doivent ainsi avoir lieu plus exactement qu'auparavant, ce qui procure naturellement une amélioration notable dans la qualité du son.

     Au lieu de supposer la lame d'air divisée par les incisions que l'on pratique à la lèvre inférieure de la lumière, il semblerait plus naturel (en raison des cavités produites par ces incisions et qui donnent passage à l'air) de penser qu'il s'échappe par ces dents de petits filets d'air qui forment autant de petites nervures qui consolident la lame principale et lui donnent une meilleure direction.







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