II
CONSIDERATIONS SUR LA FLUTE TRAVERSIÈRE
ET SUR LA FLUTE A BEC
Les difficultés de toute nature que l'on rencontre pour emboucher convenablement un tuyau d'orgue pourraient servir à expliquer, par analogie, l'embarras qu'éprouvent certaines personnes pour acquérir une bonne embouchure sur la flûte traversière, et la différence de qualité de son entre la flûte traversière et la flûte à bec.
Les lèvres de la bouche représentant ici les lèvres de la lumière d'un tuyau d'orgue, il est évident que la forme, la direction et l'homogénéité de la lame d'air résultent implicitement de la disposition et de la constitution de ces mêmes lèvres ; or, comme nous l'avons déjà remarqué (§ 1er), la qualité du son dépendant particulièrement de cette lame vibrante d'air, il est facile de comprendre que la disposition et la contexture même des lèvres de la bouche peuvent avoir la plus grande influence sur la forme et sur la direction de cette lame d'air, et par conséquent sur la qualité du son.
Il y a deux choses bien distinctes qui constituent une bonne embouchure : la direction et la forme de la lame d'air. La première ayant pour objet de diriger la lame d'air contre le bord anguleux du trou qui la met en vibration, peut s'acquérir par l'exercice ; mais il n'en est pas tout à fait de même pour la forme et la densité, qui paraissent résulter plus spécialement de la constitution des lèvres de la bouche et de leur disposition.
Il y a, en effet, certaines personnes qui presque naturellement possèdent une excellente embouchure, et d'autres qui, malgré le travail et l'exercice continuels, ne peuvent jamais atteindre cette perfection dans la qualité du son ; ce qui prouve bien évidemment que les uns ont une disposition naturelle des lèvres convenable pour former une lame de vent parallèle et homogène, tandis que les autres ne peuvent jamais arriver à donner au courant d'air ce degré d'homogénéité d'où vient la pureté du son qui caractérise une bonne embouchure. On entend toujours un son soufflé qui résulte bien évidemment de la forme divergente de la lame d'air, comme nous l'avons remarqué § 2, figure 2. Il est à remarquer que les personnes qui ont les lèvres minces et unies paraissent plus aptes à donner des sons purs que celles qui ont des lèvres épaisses. Il semblerait exister, ici comme dans les tuyaux à bouche, une certaine relation entre la forme des lèvres et celle de la lame aérienne.
Un autre phénomène que nous devons signaler, c'est la qualité de son analogue à celle d'un instrument à anche, tel que le hautbois ou le cor anglais, que quelques artistes obtiennent dans les notes graves de la flûte. Ce phénomène paraît résulter de la densité de la lame d'air, qui, dans ce cas, semble comme formée d'une matière solide et permet de discerner que le son est positivement produit par une anche, comme nous l'avons déjà observé, mais par une anche libre aérienne.
La différence de qualité de son entre la flûte traversière et la flûte à bec (ou flageolet) ne paraît pas résulter exclusivement de la situation de l'embouchure. La direction de la lame d'air dans le sens de la longueur de la flûte à bec et en travers dans la flûte traversière pourrait bien, en effet, apporter une modification dans la qualité des sons ; mais ce qui paraît distinguer plus particulièrement ces deux instruments, c'est que, dans la flûte à bec, la lame d'air se trouve invariablement déterminée dans ses dimensions, tandis que, dans la flûte traversière, elle est susceptible d'être modifiée d'une infinité de manières, par la tension ou le relâchement des lèvres et leur plus ou moins d'avancement contre le bord anguleux du trou de l'embouchure qui met cette lame d'air en vibration. D'après ce que nous avons déjà observé (§ 1er) dans les tuyaux à flûte, nous avons vu que pour obtenir une bonne qualité de son, la hauteur de la bouche et par conséquent la longueur de la lame vibrante aérienne doivent être en rapport avec les vibrations de l'air contenu dans le tuyau. Or, dans la flûte à bec, la longueur de la lame vibrante étant la même pour toutes intonations qu'elle fait entendre, il est bien évident que cette lame d'air ne peut être dans un rapport convenable avec tous les sons de l'instrument ; d'où il résulte que si l'embouchure est disposée pour les sons graves, les sons aigus ne peuvent être produits qu'en soufflant avec force, ce qui dénature la qualité des sons et détruit l'homogénéité qu'ils devraient avoir.
L'effet inverse a lieu si l'on dispose l'embouchure pour les sons aigus. Les sons graves ont alors de la peine à se manifester, si ce n'est lorsqu'on souffle faiblement et que par conséquent le son devient moins intense.
Les facteurs expérimentés donnent à l'embouchure une moyenne grandeur, afin que tous les sons de l'instrument puissent sortir avec facilité ; mais il est aisé de comprendre que cette moyenne est loin de présenter les avantages de la flûte traversière jouée par un maître habile qui possède une bonne embouchure.
Non seulement la longueur de la lame d'air peut être déterminée ici suivant la hauteur ou la gravité des sons, mais l'épaisseur, la forme et la densité se modifiant par les lèvres de l'artiste au gré de son imagination, tous les sons de cet admirable instrument deviennent susceptibles des mêmes nuances et du même degré de pureté, dans toute l'étendue de leur diapason.
Si à l'embouchure d'une flûte à bec on rendait le biseau mobile dans une coulisse, et qu'au moyen d'une clef on pût l'avancer ou le reculer à volonté, de manière à donner successivement à la lame d'air les longueurs correspondant aux différents sons de l'instrument, il est évident que l'homogénéité des sons ne pourrait qu'y gagner ; et si cette flûte à biseau mobile ne jouissait pas des mêmes avantages que la flûte traversière, elle serait du moins d'un effet beaucoup plus satisfaisant que dans l'état actuel.