PLANCHE XII.
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514.
Comme l'on fait une consommation considérable de colle dans la facture de l'Orgue, & que la solidité d'un grand nombre de pieces & de machines dépend de sa bonne qualité, il est à propos avant de passer outre, d'en parler. Il est plusieurs especes de colle forte, (car celle-ci est la seule dont il faut se servir) ; celle d'Angleterre est sans contredit la meilleure, celle qui foisonne davantage & qui fait par conséquent le plus de profit, quoique la plus chere, & celle avec [p. 169.] laquelle on travaille le plus proprement. On fait de la colle-forte en plusieurs Villes du Royaume ; mais elle est plus noire, n'abonde pas tant, & ne tient pas si bien. Il y a une autre espece de colle qui nous vient sous le nom de colle de Flandres ; elle n'est pas propre aux ouvrages de l'Orgue, parce qu'elle ne tient pas si bien que les deux autres. On doit en faire provision à bonne heure, afin de l'entretenir bien seche ; si elle reste long-tems [sic] humide, elle perd de sa bonté & de sa force. Pour la faire fondre, on la cassera à petits morceaux dans une espece de boîte de bois pour que les morceaux ne sautent point ; on en perdroit beaucoup sans cette précaution. Le fond de cette boîte est tant soit peu concave. Il y a une espece de contre-moule de bois assez massif, qui est tant soit peu convexe en dessous, & ce morceau de bois remplit entiérement la boîte. On met la feuille de colle dans le fond de la boîte, on pose le contre-moule par-dessus la colle, & on donne quelques coups de maillet sur ce morceau de bois qui casse la colle à petits morceaux sans qu'il s'en perde un seul. Toute cette opération est faite dans un moment. Du reste, cette boîte à casser la colle n'est qu'un gros morceau de bois dans lequel on fait un creux d'environ 8 pouces [217 mm.] de longueur, sur 6 pouces [163 mm.] de largeur & 4 ou 5 pouces [108 ou 135 mm.] de profondeur.

     On mettra cette colle ainsi cassée dans le pot à colle ou dans un chaudron, si l'on a besoin d'en fondre une quantité considérable ; on y mettra une quantité d'eau, ensorte que la colle en soit couverte d'environ 2 pouces [54 mm.], & on mettra tout de suite le pot ou chaudron sur le feu. On ne fera point tremper du tout la colle d'avance, comme beaucoup d'Ouvriers le pratiquent. La colle, par cette méthode, perd d'autant plus de sa qualité qu'on la fait tremper plus long-temps. Il ne faut pas que le pot à colle ou le chaudron soient immédiatement sur le feu, mais dans un autre vase plein d'eau, ce qu'on appelle bain-marie. Voyez le pot à colle représenté fig. 92. Pl. 12, & sa description, art. 117, pag. 34. Il est des Ouvriers qui prétendent qu'il est mieux de faire la colle au feu sans bain-marie. Il est certain qu'alors elle est bien-tôt faite, pourvu qu'on la remue continuellement ; ils ne se servent du bain-marie, que lorsqu'il s'agit d'employer la colle. A mesure qu'elle fondra, on la remuera presque toujours avec une spatule de bois blanc, comme de tilleul ou peuplier, mais non des apin [sic] ou de chêne. Quand la colle sera fondue, on la fera bouillir hors le bain-marie quelque temps pour la cuire ; & si elle écume, on jettera l'écume. La colle étant fondue doit être liquide, bien coulante & très-nette. A cet effet, on fera bien de la passer au travers d'un linge, comme plusieurs Ouvriers le pratiquent. On fera grande attention qu'il ne s'en attache point au fond du pot. Si l'on trouvoit que la colle fût trop épaisse, on y remettroit de l'eau, & sur tout de l'eau chaude & nette. On prétend qu'il n'est pas indifférent de se servir de toute sorte d'eau pour fondre la colle. On croit que celle de riviere ou de fontaine doit être préférée à celle de puits, ou de marais ou d'étang. On doit être encore averti que la colle est sujette à se tourner, & qu'il n'y a que les hommes qui doivent la faire.

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     On ne doit fondre de colle que la quantité que l'on peut employer pendant huit jours. Si elle se moisit ; elle perd toute sa force & ne vaut plus rien. Il y en a qui y mêlent un peu d'eau-de-vie pour qu'elle se conserve plus long-temps. On la fera durer quelques jours de plus, si on la fait fondre de temps en temps, quoiqu'on n'en ait pas besoin. On aura soin de jetter l'eau du bain-marie lorsqu'on ne se sert point de la colle.

     Il est encore une autre espece de colle qui est plus forte que celle d'Angleterre & plus blanche ; mais elle est au moins au double plus chere que l'autre, ou plutôt elle revient au quadruple du prix, parce qu'elle ne foisonne pas de beaucoup autant que celle d'Angleterre. C'est la colle de poisson dont je veux parler. On ne s'en sert point dans la facture de l'Orgue. Cependant, au cas qu'on voulût en faire quelque usage pour quelque chose de particulier & de conséquence, voici la façon de la préparer. Comme cette colle est en façon de fort parchemin, on la battra sur un tas de fer à bons coups de marteau jusqu'à ce qu'elle commence à se déchirer ; alors on la coupera avec des ciseaux à petits morceaux. On lavera bien toute cette colle avec de l'eau nette ; on jettera cette eau, & on fera tremper cette colle dans d'autre eau nette pendant une nuit. Ensuite on la fera bouillir dans un pot de terre, jusqu'à ce que tout soit bien fondu. On la passera au travers d'un gros linge ; lorsqu'on voudra s'en servir, on la fera fondre à l'ordinaire au bain-marie. Si au lieu de faire fondre cette colle avec de l'eau, on y mettoit de l'eau-de-vie, elle seroit encore plus forte.



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