Manière de recevoir une Orgue de seize pieds
ou autre.


     L'Expert ou les Experts nommez par les Parties, & qui auront prêté serment, comme il arrive souvent, quand ce sont des Hôtels de Ville ou des communautez séculieres qui font faire des Orgues ; ainsi ces experts doivent faire un verbal de l'expertition qu'ils vont faire, & s'ils sont nommé à l'amiable, les croyant gens de probité, il ne faut point de verbal.

     S'étant donc transportez à l'Orgue, ils doivent être seul avec un Souffleur non suspet, car s'il étoit pour le Facteur ou pour le Traitant, il pourroit raconter à l'un ou à l'autre ce qu'ils disent, ce qui feroit de la dispute ; si le Traitant veut y être avec les Experts, le Facteur y a le meme droit, & c'est le mieux de n'y être ni l'un ni l'autre, car c'est de là que viennent toutes les disputes, l'Expert rapportant les deffauts de l'Orgue, quelques fois tres legers, qu'il grossit, ou s'il n'y en a point, suivant son sçavoir ou sa probité, le Facteur se voyant accusé à faut vient aux paroles fortes, & fait que les Experts qui sont ses Juges le traitent encore plus mal.

     Ainsi il faut laisser agir les Experts, & qu'ils mettent par écrit tous les deffauts, & ensuite donner une copie au Traitant & au Facteur, & si ledit facteur veux connoitre par lui-même les deffauts que les Experts ont trouvé, il peut aller avec eux & le Traitant, & s'expliquer paisiblement, non pas comme font certains Facteurs, qui par leur trop grandes vivacité s'emportent jusqu'au point, que les Experts leur font connoitre leur ressentiment, & il vaudroit mieux pour eux parler beaucoup de leur profession en compagnie, & se taire dans des occasions ; ainsi si le Facteur contredit les Experts, lorsqu'ils ont fait & signé leur mémoire, il n'ont qu'à se retirer, & laisser ledit Facteur perfectionner son ouvrage, & si les Experts sont rapellez ils peuvent vérifier si ledit Facteur a raccommodé les deffauts qu'ils ont marqué dans leur mémoire, sans l'obliger à faire autre chose que ce qui est marqué, car il auroient pû se discorder des tuyaux que le Facteur n'est point obligé de raccorder comme j'ai dit ci-devant, ils n'auroient jamais fait, les Orgues ne tenant pas bien leur accord dans leur commencement & en cas que l'Expert soit éloigné de l'endroit, & que les Parties seroient obligez de faire de grands frais pour le faire revenir, il peut remettre son mémoire entre les mains de l'Organiste, ou à une personne de probité de l'endroit qui aura soin de le faire exécuter.

     Etant donc les Experts seuls avec le Souffleur, il doivent commencer par fermer tous les jeux, faire souffler, & visiter la soufflerie, les portevent & sommier, prêter l'oreille s'ils entendent du vent qui se perde, écrire l'endroit d'où il sort, voir si les soufflets descendent également n'étant pas plus chargez les uns que les autres ; cela fait, ils mettront les mains sur les claviers ; sçavoir, s'il n'y a pas de perte de vent entre les chapes & les registres, s'ils ne joignent pas bien, & s'il pourroit y avoir quelque trou qui ne ferme pas, ou que le vent passe entre la table & le registre & se glisse dans les chapes, ce qui fait le siflement, mais s'ils ne sont gros, & ne parlent à pleins tuyaux, ce n'est pas un deffaut essentielle, car cela ne fait aucun tort à l'Orgue, c'est une chicane de rapporter cela, & de vouloir qu'on le raccommode, ce qui coûteroit un tems considerable au Facteur, & l'obliger de relever les chapes & les registres.

     Cela étant fait, on tirera le prêtant, on le touchera touche par touche, on tâtera toutes les touches du clavier, pour voir s'il n'y a pas de grande dureté, car quelqu'unes un peu plus fortes, c'est chercher chicane, il faut qu'il n'arrête pas dans aucune touche, & qu'elles reviennent assez promptement sous le doigt, il faut remarquer qu'il faut toûjours souffler pendant ces épreuves, & s'il y avoit des touches des claviers qui partent deux fois en donnant un coup de doigt, comme on touche en jouant, ils ne sont pas recevables, cela dépend du clavier qui n'est pas bien construit, ou des basculs du positif, ou des abregez ; j'en ai vû dans ce pays qui parlent jusqu'à trois fois, cela fait une cacafonie, & confond l'air que l'on jouë.

     Cela étant examiné, l'on touchera touche par touche le prestant, pour voir s'il n'y a pas d'emprun ; l'emprun est, qu'en touchant une touche, l'on entend le son de deux tuyaux qui est le voisin ; c'est un des plus grands deffauts de l'Orgue, & des plus difficile à remedier, toute Orgue qui a des empruns n'est pas recevable, ces empruns proviennent des rennures du sommier qui ne sont pas étanchez, dont le vent passe de l'une à l'autre ; on fera la même chose à tous les autres sommiers ; a l'égard du cornement, c'est une chose encore essentielle, car on ne peut joüer quand il y en a un, ainsi ce cornement est condamnable, il provient de la soupape qui ne ferme pas bien, la rennure, ou quelquefois un petit coupeau ou grain de sable fait faire un cornement, c'est une chose aisée à remedier quand il provient de là ; ensuite tâter tous les tuyaux du prestant s'ils sont égales d'armonie, ni trop forts, ni trop foibles, & s'il s'en trouvoit de plus forts ou plus foibles d'une septième ou huitiéme partie, ce seroit chercher chicane que de le mettre dans le mémoire ; je compte jusqu'à onze deffauts qui sont ou forts ou foibles, soufflent ou parlent enrumé, piollent octavient & lents à parler, parlent en deux tems, tremblent, frisent ou grezillent ; tous ces deffauts sont condamnables quand ils dominent au dessus des bons tuyaux, & qu'ils se font entendre grossierement, il ne faut les passer, à moins qu'ils ne paroissent presque pas.

     Comme il est tres-difficile de rendre tous les jeux d'une Orgue dans la perfection, où il y a des Experts qui la veulent pousser, particulierement de jeunes Organistes, qui nont vû que quelques Orgues, sans les avoir examinées en détail ; s'ils avoient étudié la Facture, ils sçauroient la peine que l'on a de rendre une Orgue dans son armonie, ils plaindroient les Facteurs, & ne les chicaneroient pas sur ces petites fautes, que j'appelle, comme d'autres Facteurs, minutie ; ainsi il faut que l'Expert agisse avec plus de douceur, quand cela ne s'entend que foiblement, & que mêlant deux jeux ensemble, ce petit deffaut s'évanoüit, parcequ'un tuyau parfait se trouvant avec un qui est un peu imparfait, se marient ensemble & se soulagent & se font entendre bons ; car au Clavier, quelquefois, ils choquent l'Oreille, & au milieu de l'Eglise, ils sont excellens ; il faut s'imaginer que ce ne sont pas les organistes qui goutent la bonne armonie de l'Orgue, elle est rude aux Oreilles qui sont près, on l'entend par les Flutes traversières ; car il faut être un peu éloigné de la personne qui en joüe, pour en gouter la douceur ; ainsi, les Tuyaux font le meme effet, parceque quelquefois ils sont dans une situation embarassée, & entourez de plusieurs autres, & quand on l'entend d'une distance convenable, ils se trouvent bons : voilà les observations que les Experts doivent faire pour rendre la justice à qui elle appartient.

     Ainsi ils feront de tous les autres jeux comme du prestant, en les passant touche par touche. & écrivant les deffauts de chaque Tuyau ; tous les jeux étant passez de cette manière & tirant encore, le prestant seul, pour lors on le joüe par accord commençant par les tailles, & allant sur tous les tons naturels, ensuite sur les majeurs & mineurs, sans s'attacher à voir si les quintes sont tant soit peu plus foibles l'unes que l'autres, on sçait que l'on ne peut faire l'accord de l'Orgue sans faire les quintes foibles, & les octaves justes afin de temperer l'accord des tierces, & generalement de tous les accords, car la partition comme on la fait, a été mitigée, pour n'avoir pas tant de touches & de Tuyaux dans chaque octave.

     Le Reverend Pere Mercene, Minime, a fait un livre in folio, très-ample, il y a cent ans, qui est appellé l'Armonie universelle ; il y traite de l'Orgue, & fait voir que la partition que l'on a observé de son tems, & que l'on observe aujourd'hui, a été mitigée ; si l'on ne la faisoit de cette manière, il faudroit trente-deux touches sur chaque octave pour faire les parfaits accords, que l'on appelle le clavier armonique parfait ; ainsi il ne faut point chercher chicane sur les quintes, il faut seulement toucher les accords de six, sept ou huit touches, écouter s'il n'y a pas de gros battement, car un petit balancement ne fait point de tort en general, il y en faut, puisque les quintes doivent être fausses ; c'est-à-dire, un peu foibles ; avant examiné la partition si elle se trouve bonne, l'on met la montre de huit pieds avec le prestant, ensuite le seize pieds, & l'on joüe par accord, pour voir s'ils sont bien ensemble, ensuite ceux que l'on nomme jeux de fond, qui sont montre de seize pieds ; le prestant qui est le fondement, parce que toute l'Orgue est accordée dessus. Le huit pieds, les deux bourdons & la flute ; si en faisant les accords, cela se trouve bon, on le passe, ou on cherche ceux qui balancent trop ou battent dans les accords, & on l'écrit ; ensuite on tire le jeu de tierce, les Organistes Experts doivent sçavoir de quoi il est composé ; je ne donne pas ici la manière du mélange des jeux ; l'on tire après le plein jeu, s'il y a des touches qui balancent trop, battent & choquent l'oreille, on les marque, & l'on nomme les tuyaux dans quels jeux ils sont, de-là on tire les deux claviers, l'un sur l'autre, avec les pleins jeux, on épreuve aussi les cornets, pour que chaque touche soit nette & d'accord ; plus l'on tire le grand jeu, qui les contient tous, tant du grand corps que du positif, à la réserve des founitures, cimbales, bourdon de seize pieds & voix humaine ; c'est là ou l'on voit le grand effet de l'Orgue, & où l'on doit examiner exactement la souflerie, si l'Orgue n'altere pas, faute ne n'avoir pas assez de soufflet, ou qu'ils ne sont pas assez grands, ou que le grand portevent n'est pas bien proportionné, ou les rennures du sommier trop petites, ce qui fait l'alteration, tout le fondement de l'Orgue consiste en cela ; aussitôt qu'une Orgue altere, elle n'est pas recevable, il faut raccommoder les sommiers, si cela vient des rennures, ou s'il n'y a pas assez de vent, il faut faire une augmentation de soufflets, car tout consiste en la bonne soufflerie ; quâtre soufflets de six pieds de long sur trois pieds de large ne sont pas suffisans pour une Orgue de seize pieds, il n'en faut pas moins pour une de huit pieds ; l'on en met trois à une de quatre pieds, & le moins pour une de seize pieds est de cinq, de six pieds six pouces de longueur, & trois pieds neuf pouces de large ; si le Facteur dit, mon marché ne porte que quatre soufflets, il est condamnable parce qu'il est impossible qu'une personne puisse souffler assez vite dans le grand jeu pour fournir à cet Orgue, & celui qui n'en met que quatre à un seize pieds, ne sçait pas bien son mêtier, sur tout quand ces soufflets vont par des machines lentes, & non des leviers ordinaires qui sont fort preste, cela ne peut que faire alterer l'Orgue, le Facteur est obligé d'en augmenter un.

     A l'égard de la visite de l'interieure de l'Orgue, pour voir si les tuyaux sont bien construits, de bonne manière & de bon bois, suivant le Devis que les Experts doivent avoir en main, on la fait de la maniere suivante, on regarde si les tuyaux d'étain ou d'etoffe sont d'une épaisseur à se soûtenir ; & à l'égard des tuyaux d'étain ou d'étoffe soudez en deux ou ralongez, ou qui ont une piéce, l'on n'est pas en droit d'en faire d'autres, s'ils sont au ton & parlent leur armonie, c'est une petite malpropreté du Facteur, comme aussi les tuyaux pincez à trois cornes ou à deux, s'ils étoient tous bien arondis, sans élargissement ou rétrêcissement, ils en seroient plus propres ; l'on en convient, mais il est presque impossible de le faire, il suffit de ne voir aucuns tuyaux ouverts, fendus ou déchiquetez comme les mauvais Facteurs le font ; pour les tuyaux de bois, ceux qui sont ouverts, on les doit accorder par le haut, non avec des oreilles, de même les boucher, n'étant d'usage que pour des Orgues vieilles, que l'on ne peut tirer les tampons pour les baisser, car les oreilles affoiblissent les tuyaux en les baissant, ainsi il faut que tous les tuyaux de bois soient assez grands pour y avoir des tampons pour les hausser ou baisser ; tous ceux qui sont sans tampons mouvans, ne sont pas recevables, si l'on veut ; à l'égard des tuyaux de bois du jeu de la montre en ravallement, ils sont bons, mais encore meilleurs d'étain, & quand on est convenu par le Traité de les mettre, le Facteur est obligé de le faire, ou d'indemniser le Traitant, s'il le veut ; si le Facteur n'a pas fait attention à son Devis, & qu'il voye avant d'être avancé à son travail, qu'il faille changer quelque chose, il doit convenir avec le Traitant, & le mettre par écrit, les plus sçavans manquent quelquefois, un Entrepreneur ou Architecte donne le dessein d'une maison, & si en travaillant il retranche ou augmente quelque chose, il ne peut le faire sans le consentement du Traitant & par écrit, pour éviter toutes les contestations, le travail étant fini.

     A l'égard des mouvemens ou tirans, ils doivent être facile à tirer, quand ils seroient un peu fermes, cela s'égaye dans peu de tems en les tirant pour joüer.

     Pour l'expertisse du buffet, cela regarde plûtôt un Menuisier qu'un Organiste : un Facteur Menuisier, ou sans l'être le peut examiner, car il doit connoitre les bois & les assemblages, lorsqu'il sçait travailler les ouvrages de facture en bois, il y en a qui ne sçavent pas donner un coup de rabot, il est très-difficile qu'ils soient bons Facteurs.

     Pour ce qui regarde le tems qu'il faut pour faire l'expertisse, ou l'examen d'une Orgue, il suffit de trois jours de séance pour un seize pieds, deux pour un huit pieds, & un pour un quatre pieds ; un homme connoisseur & de probité á tout le tems qu'il faut, mais ceux qui veulent ronger le Traitant ou les Facteurs, n'en ont jamais assez ; car toutes celles que l'on m'a reçû on n'a pas tant demeuré.

     Pour ce qui concerne le salaire des Experts, à Paris, & dans toutes les Provinces, & même en Allemagne, les Experts pour les Orgues, aussi bien que les Facteurs, quand on les fait venir pour faire les devis, plans, ou desseins, & qu'ils ne font par marché, on leur paye leur dessein ou devis, & on leur donne dix livres par jour, tant en voyage que sur les lieux, s'ils ne sont pas mandez, on ne leur paye que leur dessein & devis, il y en a eu plusieurs qui on été taxez à Paris & dans les Parlemens sur ce pied ; ainsi ceux qui sçavent n'avoir que dix livres, & dont la conscience ne les tient pas à cœur, tirent la réception en longueur, afin d'avoir plus de dix livres, on dit peut-être cette calomnie d'un Expert, qui étant pour recevoir une Orgue, demandoit cinquante pistoles au Facteur pour l'expedier promptement, & lui faire grace, c'est qu'il ne vouloit pas prolonger la reception, afin que sa conscience ne soit pas chargée de tirer tant de dix livres : voilà des honnêtes gens & d'une grande probité.

     L'expertisse & la réception étant faite, les Parties contentes de part & d'autre, le Traitant donne une entière réception, & les experts signent ou donnent leur certificat à part, & la bonne reception couronne l'œuvre.

     A l'égard des frais, si les Experts sont nommez par le Traitant, & qu'il soit dit dans le Traité que ce sera à ces frais, & que le Facteur les accepte, disant que son Orgue est finie & prête à recevoir,

     La visite faite, le Facteur doit s'en tenir au mémoire de réparations, s'il y en a, & les raccommoder ; pour lors c'est au Traitant de payer les Experts, mais si le Facteur ne veut s'en tenir à ladite visite, tous les Experts qui pourroient être nommez à l'avenir seroient à ces frais, parce qu'il n'a pas bien mis son Orgue à la premiere visite.

     Il ne tiendra donc qu'à un Facteur de faire venir les Experts de trés loin, & qui couteroient beaucoup, parce qu'il est dit que c'est au frais du Traitant, de faire leur expertisse sur expertisse, pour l'intimider, afin qu'il reçoive son Orgue, sans être parfaite, cela seroit contre les regles & la justice.

     Je conseille à ceux qui feront recevoir des Orgues dans ce pays ou ailleurs, de choisir pour Experts, Mrs. Guicher, Prêtre & Organiste trés-habile de la Cathedrale du Puy en Vellay, Deroches, Prêtre, aussi trés-habile connoisseur & Organiste de la Cathedrale de Clermont en Auvergne, Fabry, aussi trés-habile connoisseur, & Organiste de la Cathedrale de Rodez en Roüergue, ci-devant Maitre de Musique à Mendes dans le Givaudan, ayant demeuré trés-long-tems à Lion, touchant l'Orgue des Reverends PP. Cordeliers de S. Bonaventure, accompagnateur à l'Opera & au Concert, ayant vû une grande partie des Orgue de France & de l'Italie, & ayant demuré assés long-tems a Rome où il étoit fort estimé : Sauvage aussi trés-habile Organiste à la Cathedrale de Mendes, & bon Connoisseur, il peut s'en trouver encore d'autres qui ont les mêmes capacitez, mais je ne puis les connoitre pour le peu de tems que je suis dans ce Pays.





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