Calculs de
tailles de tuyaux d'orgues
par le moyen d'un
graphique.

L'Hydraule


Le principe demande de connaître au départ trois nombres, savoir :

  1. le diamètre du tuyau le plus gros.
  2. le diamètre du tuyau le plus petit.
  3. le nombre de notes qu'il faut établir.

Dom Bedos1 appelle diapason le diagramme de base servant à déterminer les diamètres ou longueurs des tuyaux. Il préconise une façon de faire très précise pour la conception de ce diapason. En partant d'une segment de droite de longueur égale au premier tuyau du jeu désiré, et en suivant un algorithme décrit dans la table de l'article 215 page 61, on arrive à diviser l'octave d'une façon à peu près progressive.

Reprenons le calcul en fixant la plus grande longueur, C, à 100 mm.

Abaque type de Dom Bedos

 C est connu, C = 100,0000 
 Les 3/4 de C, donnent la quarte, qui est F = 75,0000 
 Les 2/3 de C, donnent la quinte, qui est G = 66,6666 
 Les 4/3 de G, donnent la quarte, en descendant D = 88,8888 
 Les 2/3 de D, donnent la quinte, A = 59,2592 
 Les 4/3 de A, donnent la quarte, en descendant E = 79,0123 
 Les 2/3 de E, donnent la quinte, B = 52,6748 
 Les 3/4 de F, donnent la quarte, B♭ = 56,2500 
 Les 3/2 de B♭, donnent la quinte, en descendant E♭ = 84,3750 
 Les 3/4 de E♭, donnent la quarte, G♯ = 63,2812 
 Les 3/2 de G♯, donnent la quinte, en descendant C♯ = 94,9218 
 Les 3/4 de C♯, donnent la quarte, F♯ = 71,1914 

Rétablissons les notes dans l'ordre et calculons leurs rapports entre-elles. Pour cela, on sait que les longueurs traitées ne sont pas celles des intervalles entre les notes mais la distance entre la position de la note et celle de l'extrémité du graphique (de la droite). Il faut donc soustraire à toutes ces longueurs la moitié de celle de départ (50), puis, mesurer les longueurs des intervalles entre les notes avant de pouvoir en calculer leurs rapports deux à deux.


  Octave
seule
Longueurs
des intervalles
= note(x) - note(x + 1)
Rapports des intervalles
= longueur(x) / longueur(x + 1)
1 C 100,0000 - 50 = 50,0000 - 44,9219 = 5,078125 / 6,032986 = 0,8417266187 soit : 117 / 139
2 C♯ 94,9219 - 50 = 44,9219 - 38,8889 = 6,032986 / 4,513889 = 1,3365384615 soit : 139 / 104
3 D 88,8889 - 50 = 38,8889 - 34,3750 = 4,513889 / 5,362654 = 0,8417266187 soit : 117 / 139
4 E♭ 84,3750 - 50 = 34,3750 - 29,0123 = 5,362654 / 4,012346 = 1,3365384615 soit : 139 / 104
5 E 79,0123 - 50 = 29,0123 - 25,0000 = 4,012346 / 3,808594 = 1,0534979424 soit : 256 / 243
6 F 75,0000 - 50 = 25,0000 - 21,1914 = 3,808594 / 4,524740 = 0,8417266187 soit : 117 / 139
7 F♯ 71,1914 - 50 = 21,1914 - 16,6667 = 4,524740 / 3,385417 = 1,3365384615 soit : 139 / 104
8 G 66,6667 - 50 = 16,6667 - 13,2813 = 3,385417 / 4,021991 = 0,8417266187 soit : 117 / 139
9 G♯ 63,2813 - 50 = 13,2813 - 9,2593 = 4,021991 / 3,009259 = 1,3365384615 soit : 139 / 104
10 A 59,2593 - 50 = 9,2593 - 6,2500 = 3,009259 / 3,575103 = 0,8417266187 soit : 117 / 139
11 B♭ 56,2500 - 50 = 6,2500 - 2,6749 = 3,575103 / 2,674897 = 1,3365384615 soit : 139 / 104
12 B 52,6749 - 50 = 2,6749 - 0,0000 = 2,674897 / 2,539063 = 1,0534979424 soit : 256 / 243
13 C 50,0000 - 50 = 0,0000 5,078125 / 2 = 2,539063  

D'où il ressort qu'il y a donc, dans la division graphique de Dom Bedos, trois rapports distincts entre les intervalles de notes :

  1. 0,8417266187, soit 117 / 139, rapport utilisé pour passer d'une naturelle à une feinte du clavier.
  2. 1,3365384615, soit 139 / 104, rapport utilisé pour passer d'une feinte à une naturelle du clavier.
  3. 1,0534979424, soit 256 / 243, rapport utilisé pour passer d'une naturelle à une naturelle du clavier.

Il s'en suit que le rapport de (117 / 139) × (139 / 104) présent dans les intervalles de tons Do-Ré, Ré-Mi, Fa-Sol, Sol-La et La-Si est égal à 16263 / 14456 et peut se réduire à 9 / 8. Quelle merveilleuse démonstration d'une division purement pythagoricienne ! Mais il faut rappeler qu'en procédant par quinte et quarte successives, il eut été surprenant que les chiffres se trouvent en opposition avec l'évidence... Cela démontre surtout qu'il n'y a quasiment aucune différence de résultat entre ce procédé décrit à la fin du xviiie siècle et celui exposé dans le traité d'Henri-Arnault de Zwolle2 dans la première moitié du xve. Ce n'est pas la première fois que l'on rencontre un tel archaïsme dans ce domaine chez le bénédictin mauriste ; on peut le souligner aussi quand il décrit le tempérament de l'orgue.

Cette façon de procéder a par ailleurs été décrite avec quelques variantes. Dès 1636, Mersenne donne toutes les divisions qui lui semblent possibles (onze tout de même...) et commence, pour la première, par une division étonnamment tempérée :

« Or cette table contient vnze colomnes, qui monstrent la longueur & la largeur des tuyaux, dont la premiere fait voir les treize degrez du Diapason temperé ; qui a ses douze demy-tons esgaux, ou quasi esgaux. [...] Cette premiere colomne est diuisée en douze interualles ou en treize degrez, dont chacun a son nombre particulier, de sorte que les vnze nombres qui sont entre 1000, & 500 representent les vnze moyennes proportionnelles dont i'ay parlé dans le traité du Luth, & ailleurs. »3

En 1717, Christophoro Alberto Sinn4 publie en Allemagne des tables logarithmiques et une méthodologie pour établir une division horizontale à progression égale. En France, dans la seconde moitié du xviiie siècle, l'Encyclopédie publie un article diapason où il est une fois encore être très clairement stipulé la nécessité de mathématiser le tracé :

« Quoique nous tolérions la pratique des facteurs, il faut cependant observer qu'il est beaucoup mieux de ne s'en point servir ; car, quoique les tuyaux soient amenés à leur longueur en les coupant, lorsqu'on les accorde, il n'est pas moins vrai qu'ils ne sont plus des corps semblables, puisqu'on ne peut réformer le diapason vicieux des grosseurs : il est pourtant requis que les tuyaux aient leurs grosseurs, suivant le diapason, c'est-à-dire, qu'ils soient semblables, pour qu'ils rendent la plus parfaite harmonie qu'il est possible. »5


On remarquera toutefois avec amusement que la table des nombres publiée dans l'article de l'Encyclopédie, et destinée à établir une division égale, est loin d'avoir la précision des valeurs publiées par Mersenne presque cent cinquante ans plus tôt, puisqu'elles approchent, elles, de très près la racine douzième de deux (1,0594630943593)...

 
  L'Encyclopédie L'Harmonie Universelle
Valeurs
publiées.
Rapports
inter-notes.
Valeurs
publiées.
Rapports
inter-notes.
C 100.000 1,06666666667 1000 1,05932203390
C♯ 93.750 1,05468618164 944 1,05829596413
D 88.889 1,06667226669 892 1,05938242280
E♭ 83.333 1,04166250000 842 1,06045340050
E 80.000 1,06666666667 794 1,05866666667
F 75.000 1,05468914795 750 1,05932203390
F♯ 71.111 1,06665966670 708 1,05988023952
G 66.667 1,06667200000 668 1,06031746032
G♯ 62.500 1,04166666667 630 1,05175292154
A 60.000 1,06666666667 599 1,06583629893
B♭ 56.250 1,05469409184 562 1,05838041431
B 53.333 1,06666000000 531 1,06200000000
C 50.000   500  






La traduction mathématique de ce procédé graphique, tant dans le cas d'une division horizontale inégale qu'égale, requiert une fonction spécifique qu'il est très simple de mettre en œuvre dans un tableur. Pour illustrer ce qui précède, on pourra avantageusement consulter le fichier tableur au format ODS (OpenOffice.org) ou au format XLS (Micro$oft Excel), ou, plus simplement, remplir le formulaire de l'illustration JavaScript ci-dessous qui calcule 61 notes selon ce procédé.



Enfin, par cette illustration, on remarquera à quel point il ne se trouve que très peu de différence dans les valeurs finales selon que l'on choisisse une division horizontale égale ou suivant le modèle de Dom Bedos puisque, dans le cas du 8 pieds du bénédictin (premier do : 157,5 mm., cinquième do : 21,4 mm.), la différence maximale n'est que de 76 centièmes de millimètre pour le premier do dièze. Cette différence s'estompe évidemment à proportion dans l'aigu. Cela démontre bien que la régularité de la division horizontale importe en fait assez peu dans la mesure entendue où elle est toutefois à-peu-près régulière.

1C
-
2C♯
-
3D
-
4E♭
-
5E
-
6F
-
7F♯
-
8G
-
9G♯
-
10A
-
11B♭
-
12B
-
13C
-
14C♯
-
15D
-
16E♭
-
17E
-
18F
-
19F♯
-
20G
-
21G♯
-
22A
-
23B♭
-
24B
-
25C
-
26C♯
-
27D
-
28E♭
-
29E
-
30F
-
31F♯
-
32G
-
33G♯
-
34A
-
35B♭
-
36B
-
37C
-
38C♯
-
39D
-
40E♭
-
41E
-
42F
-
43F♯
-
44G
-
45G♯
-
46A
-
47B♭
-
48B
-
49C
-
50C♯
-
51D
-
52E♭
-
53E
-
54F
-
55F♯
-
56G
-
57G♯
-
58A
-
59B♭
-
60B
-
61C
-










Notes :

1 Dom François Bedos de Celles,
L'art du facteur d'orgues.
Paris, 1766-1778.


2 Les traités d'Henri-Arnault de Zwolle (apr. 1400-1466) et de divers anonymes.
Paris, Bibliothèque nationale, MS. latin 7295).
Édité et commenté par Georges Le Cerf avec la collaboration d'Edmond-René Labande.
Éditions A. Picard, Paris, 1932.
Documenta Musicologica, II/4. Kassel, Bärenreiter, 1972.
Facsimilé du manuscrit avec une postface de François Lesure.
25 × 35 cm, 60 pages, 23 planches (reproduction de l'édition de Paris, 1932).
ISBN : 3-761-80266-8.


3 Marin Mersenne,
Harmonie Universelle, Livre sixième, des Orgues, PROPOSITION XV,
Expliquer toutes les especes de Diapasons, & de Canons, ou de regles harmoniques dont on peut vser pour perfectionner les Orgues.
(page 338).
Chez Sébastien Cramoisy, Paris, 1636.
Rééditions du Centre National de la Recherche Scientifique (C.N.R.S.), Paris, 1965-1986.
Facsimilé de l'exemplaire de l'auteur avec ses annotations, introduction de François Lesure.
Trois tomes, 19 × 27 cm
ISBN : 2-222-00835-2.


4 Christophoro Alberto Sinn,
Die Aus Mathematischen Gründen Richtig Gestellete Musikalische
Temperatura Practica, Das Ist: Grundrichtige Vergleichung Der Zwölff Semitoniorum in Der Octave, Wie Dieselbe Nach Anweisung Der Arithmetic Und Geometrie Ad Praxin, Fürnehmlich in Die Orgel-Wercke, Können Gebracht Werden...

Samt einer Vorrede Herrn Caspari Calvoers, Wernigerode: M.A. Struck, 1717.

Nachwort von Michael Behrens.
Herausgegeben von Eitelfriedrich Thom.
Michaelstein, 1988. 21 × 15 cm.

 

5 Texte réédité presque intégralement en 1785 dans l'Art du faiseur d'instruments de musique et lutherie.
Extrait de l'Encyclopédie méthodique ou par ordre de matières, par une société de gens de lettres, de savants et d'artistes ; précédée d'un Vocabulaire universel, servant de Table pour tout l'Ouvrage, ornée des Portraits de MM. Diderot et d'Alembert, premiers Éditeurs de l'Encyclopédie.
Édition (1781-1832) de « L'Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers » initiée par Charles-Joseph Panckoucke
Paris, 1785