[p. 523.]


C H A P I T R E   Q U A T R I E M E.

Les principaux mêlanges ordinaires des Jeux de l'Orgue (a)

Lus, examinés, corrigés & approuvés par les plus habiles & les plus célébres Organistes de Paris, tels que Messieurs Calviere, (b) Fouquet, Couperin, Balbâtre, & autres.

 

I.

Pour le Plein-Jeu.

1292.
ON y mettra toutes les Montres, tous les 8 pieds ouverts, tous les Bourdons, tous les Prestants, toutes les Doublettes, toutes les Fournitures, toutes les Cymbales, tant au grand Orgue qu'au Positif, & on mettra les Claviers ensemble. Si l'on se sert des Pédales, on y mettra la Trompette & le Clairon. S'il y a plusieurs Trompettes & plusieurs Clairons à la Pédale, on les y mettra également. On ne mêle jamais aucune Pédale de Flûte avec celles de Trompette & de Clairon. On peut se servir quelquefois au Plein-Jeu, des Pédales de Flûte, au lieu des Pédales de Trompette & de Clairon, sur-tout s'il y a des 16 pieds.

     Le grand Plein-Jeu doit se traiter gravement & majestueusement : l'on doit y frapper de grands traits d'harmonie, entrelassés de syncopes, d'accords dissonants, de suspensions & surprises d'harmonie frappantes ; & que tout cela cependant puisse former une modulation réguliere. Le Plein-Jeu du Positif doit être touché plus légérement : l'on peut y exécuter du brillant, des roulades, &c ; le tout aboutissant à une harmonie suivie.

 

II.

Pour le Grand Jeu.

     On mettra au grand Orgue le grand Cornet, le Prestant, toutes les Trompettes [p. 524.] & les Clairons, s'il y en a plusieurs. On mettra également au Positif le Cornet, le Prestant, la Trompette, le Clairon & le Cromorne : (on retranchera ce dernier Jeu, s'il n'y a dans le grand Orgue qu'une Trompette & un Clairon.) On mettra les Claviers ensemble : les Pédales seront comme au Plein-Jeu. Si son a besoin du Récit, on ouvrira le Cornet, ainsi qu'à l'Echo.

     Il y a plusieurs Organistes, qui ne touchent presque jamais le Grand Jeu, sans y faire jouer le Tremblant-fort. Il est remarquable que ce ne font jamais les plus habiles, & qui ont le plus de goût ; ceux-ci sentent trop bien que cette modification du vent barbouille & gâte la belle harmonie : les Tuyaux n'en parlent pas si bien, ni si nettement. Ce Tremblant leur ôte tout le tendre, le velouté de leur son : ils perdent cette harmonie pleine & mâle qu'un bon Facteur expert en son art, a tant pris de peine à leur faire rendre. Le Cromorne sur-tout en est le plus mal affecté ; le Tremblant défigure tout ce qu'il a d'agréable dans son harmonie ; ce Jeu ne fait alors que nasarder : on fera donc très-bien de ne s'en servir presque jamais au Grand Jeu, à l'exemple des plus grands Organistes, qui naturellement doivent être le modele des autres.

 

III.

Pour le Duo.

     Il y a différents mêlanges qui peuvent convenir au Duo, selon la maniere dont on veut le traiter.

     1o. On mettra au grand Orgue tous les Jeux de fond, même le 32 pieds, s'il y en a, comme au Plein-Jeu. On y ajoutera les deux Nasards, les deux Tierces & la Quarte, sans Doublette, à moins qu'il n'y eut pas de Quarte : c'est ce qu'on appelle le grand Jeu de Tierce.

     Au Positif on mettra le 8 pieds ouvert, le Bourdon de 8 pieds, le Prestant, le Nasard, la Quarte & la Tierce. S'il n'y a pas de Quarte, on mettra la Doublette : ce mêlange s'appelle le Jeu de Tierce du Positif. Les Claviers seront séparés.

     On touchera le dessus sur le Positif, & la basse sur le grand Orgue.

     Il faut remarquer que si l'on fait de grandes vîtesses à la Basse, elles ne feront aucun effet. Leur mouvement doit être tout au plus en croches d'un battement modéré. On ne fera monter les Basses que jusqu'à la clef de G re sol ; les dessus dans ce mêlange n'étant pas agréables.

     2o. On touchera le dessus sur le Cornet de Récit, & la Basse sur le Prestant & le Cromorne du Positif. S'il n'y a pas de Cornet de Récit, on se servira du grand Cornet tout seul, ou bien du petit Jeu de Tierce du grand Orgue, où il n'entre que le 8 pieds ouvert, & le petit Bourdon, (autrement appellé le Bourdon de 8 pieds ou de 4 pieds,) le Prestant, le petit Nasard, la Quarte & la Tierce.

[p. 525.]

     Les deux mêlanges précédents pour le Duo sont les plus usités, & qui conviennent davantage au caractere de la piece : le premier pour le grave & le noble ; le second pour la grande exécution.

     3o. On touchera le dessus sur le Cornet de Récit, & la basse sur la Trompette seule du Positif.

     4o. On fera le dessus sur la Trompette de Récit, & la basse sur tout le Jeu de Tierce du Positif.

     5o. On fera le dessus sur le Cromorne & le Prestant du Positif, & la Basse sur tout le grand Jeu de Tierce du grand Orgue, en observant de ne pas faire de grandes vîtesses sur la basse.

     Ce mêlange est encore plus propre pour toucher un Trio, dont les deux dessus se feront sur le Positif, & la basse sur le grand Orgue.

     6o. Faire les deux parties du Duo sur les tailles des Trompettes & Clairons, avec le Prestant du grand Orgue.

     Ce mêlange est moins propre pour toucher un Duo régulier, qu'un caprice irrégulier, où quelquefois il n'entre que deux parties, d'autres fois trois & même quatre, selon l'imagination de l'Organiste.

     7o. Faire le dessus sur les deux 8 pieds, la Flûte de 4 pieds & le Nasard du Positif, ou encore mieux sur le seul Cromorne avec le Prestant, & la basse sur les deux 16 pieds & le Clairon du grand Orgue.

     Comme ce mêlange dans le grand Orgue est irrégulier, attendu qu'on mêle un Jeu d'Anche avec de grands fonds, il ne faut faire descendre la basse que jusqu'à la clef d'F ut fa tout au plus : elle fera plus d'effet vers la troisieme octave. On y peut toucher en harpégements, batteries, &c, le tout lié. On touche encore plus souvent un Trio qu'un Duo sur ce mêlange.

     8o. On fera le dessus sur le Cornet de Récit, & la basse sur tous les fonds du grand Orgue, avec le Cromorne & le Prestant du Positif, les Claviers ensemble. On observera de ne pas faire de grandes vîtesses à la basse, afin que les fonds du grand Orgue fassent bien leur effet.

 

IV.

Pour la Fugue grave.

     On mettra au grand Orgue le Prestant, toutes les Trompettes & les Clairons. Au Positif, on mettra la Trompette, le Clairon & le Cromorne : (on met toujours ce dernier Jeu dans ce mêlange, quoiqu'il n'y ait qu'une Trompette & un Clairon au grand Orgue ;) les Claviers seront ensemble. Si l'on se sert des Pédales, ce seront les mêmes qu'au Grand Jeu & au Plein-Jeu.

     Un nombre d'Organistes ajoute à ce mêlange le grand Cornet, sans s'appercevoir que ce Jeu ôte tout le tranchant & la douceur dans les dessus des Jeux d'Anche. C'est presque la seule occasion de les faire paroître dans tout leur [p. 526.] brillant & leur beauté : on en est privé par l'éclat du Cornet, qui les absorbe & les émousse. D'autres font encore pis ; ils y joignent le Tremblant-fort. Ceux qui ont le plus de goût sont bien plus attentifs à tirer de leur Instrument toute l'harmonie dont il est susceptible ; aussi ils ne tombent point dans ces inconvénients, qui marquent peu de discernement.

     On peut encore toucher quelquefois une Fugue grave sur le mêlange suivant, qui est fort harmonieux : on mettra tous les fonds au grand Orgue ; & au Positif, on mettra le Cromorne avec le Prestant seulement ; les Claviers seront ensemble.

     Ce mêlange est propre à toucher aussi un caprice rempli d'accords dans les basses, en batteries modérées si l'on veut, & faire chanter les dessus en une ou deux parties.

 

V.

Pour la Fugue de mouvement.

     On la touche ordinairement sur le Grand Jeu : on peut encore l'exécuter sur tout le grand Jeu de Tierce, joint avec celui du Positif, les Claviers ensemble. Quelques Organistes y ajoutent le Clairon au grand Orgue ; d'autres le Cromorne au Positif ; mais ce mêlange est alors irrégulier, attendu qu'un Jeu d'Anche ne peut parler dans sa véritable harmonie, & dans son accord avec tout le Jeu de Tierce.

 

VI.

Pour la Tierce en Taille.

     On mettra au grand Orgue pour l'accompagnement les deux 8 pieds, ou trois s'il y en a : au Positif, les deux 8 pieds, le Prestant, (ou encore mieux, la Flûte de 4 pieds, s'il y en a, au lieu du Prestant ;) le Nasard, la Quarte, (ou au défaut de la Quarte, la Doublette) la Tierce & le Larigot. On mettra à la Pédale pour faire la Basse, tous les Jeux de fond de la Pédale, comme les 16 pieds, s'il y en a, les 8 pieds & les 4 pieds.

     Il y a beaucoup d'Organistes qui font l'accompagnement trop près du Récit en Taille : il ne fait alors presqu'aucun effet, il se confond avec le Récit. On doit le faire toujours le plus haut que l'on peut, par exemple, sur la quatrieme octave ; l'accompagnement alors sort bien, & orne mieux le Récit : il est d'ailleurs plus brillant, & imite mieux la Flûte Allemande.

     Le Récit qu'on joue sur les tailles dans cette maniere de toucher, doit être bien chantant & orné avec beaucoup de goût. Il y a des Organistes qui ne font que des roulades d'un bout de Clavier à l'autre, beaucoup de rapidités, de passages & de cadences, le tout sans presqu'aucun chant : ce n'est pas-là un véritable Récit ; il faut essentiellement du chant pour la mélodie.

[p. 527.]

 

VII.

Pour le Cromorne en Taille.

     On mettra au grand Orgue pour l'accompagnement les mêmes Jeux qu'à l'article VI précédent : au Positif, le Cromorne avec le Prestant : à la Pédale, les Jeux de fond. S'il y a un Jeu de Tierce à la Pédale, il sera encore mieux de s'en servir pour la basse, qui fera un plus bel effet.

     Voyez la remarque de l'article VI précédent au sujet de l'accompagnement. On touchera le Récit plutôt bas que haut, tant qu'on pourra, c'est-à-dire, que le chant doit dominer sur la seconde octave, qui a toujours plus d'harmonie.

 

VIII.

Pour toucher la Trompette en Taille.

     On mettra au grand Orgue les deux 8 pieds, ou trois, s'il y en a, pour les accompagnements ; & au Positif, la Trompette seule, si elle est bien harmonieuse ; ou on y joindra le Prestant, si elle n'est pas assez parfaite. On mettra à la Pédale les Jeux de fond, ou encore mieux le Jeu de Tierce, s'il y en a. On touchera le Récit sur les seconde & troisieme octaves de la Trompette.

 

IX.

Pour le Trio à trois Claviers.

     Il y a plusieurs mêlanges qui y sont propres ; voici les principaux :

     1o. On touchera le premier dessus sur le Cornet de Récit ; le second dessus sur le Cromorne du Positif avec le Prestant ; & la basse sur les fonds de la Pédale, ou encore mieux sur le Jeu de Tierce, s'il y en a à la Pédale.

     Un nombre d'Organistes mettent trop d'intervalle entre la basse & les dessus dans toutes les especes de Trio. Lorsque l'harmonie est si éloignée, elle ne se lie, point avec les deux dessus, puisqu'on y met quelquefois jusqu'à trois octaves d'intervalle. C'est un défaut que les habiles Organistes évitent toujours : ils ne mettent pas plus d'une octave d'intervalle entre la basse & les deux dessus.

     2o. On fera le premier dessus sur tout le Jeu de Tierce du Positif, sans Larigot ; le second dessus sur la Trompette de Récit ; ou s'il n'y en a point au Récit, sur la Trompette du grand Orgue avec le Prestant ; la Basse sur les Pédales de Flûte ou du Jeu de Tierce.

     3o. Le premier dessus sur le Cornet de Récit ; le second dessus sur le Jeu de Tierce du Positif ; & la basse sur les Pédales de Flûte ou du Jeu de Tierce.

     Quoique ces deux dessus dans ce mêlange, soient d'une harmonie assez approchante l'une de l'autre, ils sont cependant d'un bon goût. Ils laissent la liberté de parcourir le Clavier avec une certaine étendue : on n'y est pas aussi gêné [p. 528.] que si les deux mains travailloient sur le même Clavier, dans le cas où l'on veut que les deux dessus soient de la même harmonie.

     4o. Le premier dessus sur tous les 8 pieds, tant du grand Orgue que du Positif, les Claviers ensemble ; & le second dessus sur la Trompette de Récit, ou le Cornet de Récit, s'il n'y a pas de Trompette ; la Basse sur les Pédales de Flûte, ou du Jeu de Tierce.

     5o. Le premier dessus sur les deux 8 pieds du grand Orgue, ou trois s'il y en a ; & le second dessus sur le Cromorne & le Prestant du Positif : la Basse sur les Pédales de Flûte, ou du Jeu de Tierce.

     6o. Un dessus sur les deux 8 pieds & le petit Nasard du grand Orgue ; on peut y joindre la Flûte de 4 pieds, s'il y en a ; & l'autre dessus sur le Cromorne & le Prestant du Positif ; la Basse sur les Pédales de Flûte, ou du Jeu de Tierce.

     7o. Un dessus sur la Trompette de Récit ; & l'autre dessus, sur les deux 8 pieds, Flûte & Nasard du Positif. S'il n'y a pas de Trompette au Récit, on se servira de celle du grand Orgue : la Basse sur la Pédale de Flûte, ou du Jeu de Tierce.

     8. Un dessus sur le Jeu de Tierce du Positif ; & l'autre dessus sur tous les 8 pieds du grand Orgue ; la Basse sur les Pédales de Flûte, ou du Jeu de Tierce.

     9o. Le premier dessus sur le Cornet de Récit, ou sur deux 8 pieds seulement, ou sur deux 8 pieds & le Nasard avec la Flûte, s'il y en a : le second dessus sur la Voix-humaine, le petit Bourdon & la Flûte de 4 pieds, ou s'il n'y a pas de Flûte, on se servira du Prestant ; la Basse sur les Pédales de Flûte ; on y mettra le Tremblant-doux.

     10o. Les deux dessus sur tous les 8 pieds, tant du grand Orgue que du Positif, les Claviers ensemble ; & la Basse sur les Pédales de Flûte.

 

X.

Pour le Quatuor à quatre Claviers.

     1o. On fera le premier dessus sur la Trompette de Récit, ou sur deux 8 pieds (s'ils y font séparés ;) le second dessus sur le petit Jeu de Tierce du grand Orgue ; la troisieme partie sur le Cromorne du Positif avec le Prestant ; la Basse sur la Pédale de Flûte, ou du Jeu de Tierce ; ou bien,

     2o. On fera le premier dessus sur le Cornet de Récit, le second sur la Trompette & le Prestant du grand Orgue, la troisieme partie sur le Jeu de Tierce du Positif, & la Basse sur la Pédale de Flûte.

     Cette maniere de faire le Quatuor sur quatre Claviers est difficile pour l'exécution : on ne peut guere faire chanter les deux dessus, parce qu'on est obligé de les toucher de la seule main droite sur deux Claviers différents ; ou selon la seconde maniere, l'on est obligé de faire les deux parties moyennes de la seule main gauche sur deux Claviers différents ; mais voici un autre mêlange sur [p. 529.] lequel on pourra exécuter plus aisément le Quatuor de deux manieres, en le faisant sur trois Claviers seulement.

 

XI.

Pour le Quatuor à trois Claviers.

     On fera les premier & second dessus sur le Cornet de Récit ; la troisieme partie sur le Cromorne & le Prestant du Positif ; & la Basse sur les Pédales de Flûte, ou du Jeu de Tierce.

     Ou bien avec le même mêlange, on touchera le premier dessus sur le Cornet de Récit ; les deux moyennes parties sur les tailles du Cromorne ; & la Basse sur les Pédales de Flûte ou du Jeu de Tierce ; cette seconde maniere aura plus de brillant & d'harmonie, sans plus de difficulté pour l'exécution.

 

XII.

Pour toucher un Fond d'Orgue.

     On y mettra les Montres, les Bourdons, les 8 pieds ouverts, les Flûtes de 4 pieds & les Prestants, tant au grand Orgue qu'au Positif, les Claviers ensemble, avec tous les fonds de la Pédale. On n'y fera jamais jouer le Tremblant doux, comme le pratiquent certains Organistes sans goût.

 

XIII.

Pour toucher une Basse de Trompette.

     1o. On mettra au grand Orgue le Prestant, les Trompettes & les Clairons, s'il y en a plusieurs ; & au Positif, les deux 8 pieds, la Doublette & le Larigot. Si l'on veut faire un dialogue de dessus & de basse, on se servira du Cornet de Récit pour les dessus. Les Organistes les plus minces y mêlent toujours le Tremblant-fort, mais ceux qui sont habiles & connoisseurs en harmonie ne s'en servent jamais, parce qu'il fait disparoître la beauté des Jeux d'Anche, dont le son est alors défiguré ou altéré.

     Ce mêlange est le plus usité pour le caractere de cette maniere de toucher la Basse de Trompette : le mêlange suivant sera encore plus harmonieux, mais il demande d'être traité avec goût.

     2o. On mettra au grand Orgue les mêmes Jeux que ci-dessus ; & au Positif, les deux 8 pieds, le Prestant & le Cromorne, supposé que ces deux 8 pieds ne ralentissent point le Cromorne.

     On touchera un Dialogue en maniere de Duo, imitant le Basson sur les tailles du Cromorne, & imitant le Cor de chasse, & un chant de Trompette ou de triomphe sur la Trompette.

[p. 530.]

 

XIV.

Pour toucher une Basse de Cromorne.

     On mettra au grand Orgue tous les 8 pieds pour l'accompagnement ; & au Positif, le Prestant & le Cromorne.

     On touchera le Cromorne en imitant le Basson, ou la Basse de viole.

 

XV.

Pour toucher des simples Récits de dessus.

     Tous les Récits de dessus s'accompagneront toujours avec deux 8 pieds, pour en faire la basse. Si l'on veut toucher un dessus de Cromorne, on le tirera avec le Prestant, & on fera la basse avec les deux 8 pieds du grand Orgue, ou trois s'il y en a. Si c'est la Trompette de Récit, on la tirera seule, & on l'accompagnera de même. Si c'est le Cornet, on se servira de celui du Récit ; ou s'il n'y en a pas, on touchera le grand Cornet tout seul, & on l'accompagnera de même. Si ce sont les dessus du Jeu de Tierce du Positif, on le tirera tout entier, & on l'accompagnera de même. Si ce sont deux Trompettes ensemble, pour rendre le Récit plus tranchant & plus éclatant, on y joindra le Prestant, & on l'accompagnera de même. Si c'est la Trompette du Positif & le Cromorne ensemble, on y joindra le Prestant, & on l'accompagnera de même.

     Chacun de ces Récits doit être traité dans le goût qui lui convient. Il faut toucher l'un avec rapidité, comme les Tierces du Positif, le Cornet, &c ; l'autre d'un mouvement plus modéré, comme les Trompettes, imitant des Fanfares, &c ; il faut les traiter selon leur caractere.

 

XVI.

Pour toucher la Voix-humaine.

     On mettra au grand Orgue, où l'on suppose que ce Jeu est posé, le Bourdon, la Flûte de 4 pieds & la Voix-humaine : si l'on n'a pas de petite Flûte, on se servira du Prestant à sa place ; au Positif, on tirera les deux 8 pieds, avec lesquels on fera l'accompagnement ; on fera jouer le Tremblant-doux. Si on veut la toucher en Trio, voyez l'article IX ci-dessus, pag. 528, où il est parlé des Trio.

     Il faut bien remarquer que c'est le seul cas où les Organistes, qui ont le plus de goût pour l'harmonie, se servent du Tremblant-doux, même lorsqu'il est bon ; ce qui est assez rare. Il affoiblit nécessairement le vent ; par conséquent il change & détériore l'harmonie & l'accord de l'Orgue. Il y a de grands Organistes qui ont nommé le Tremblant-doux, le perturbateur des Jeux de l'Orgue [p. 531.]. On doit pourtant le souffrir lorsqu'il est comme il faut, pour modifier le son de la Voix-humaine, qui sans cela n'imite jamais véritablement la Voix naturelle de l'homme : je n'en connois que deux qui ayent bien cette qualité. (c)

     La meilleure maniere de toucher ce Jeu, est de faire un simple Dialogue de dessus & de basse, & de joindre ensuite les parties ensemble, imitant toujours la maniere naturelle & toute simple de chanter. Ce Jeu est charmant lorsqu'il imite bien la voix de l'homme : il ne faut pas le toucher plus bas que le premier F ut fa, ni plus haut que le quatrieme G re sol ; parce que les voix naturelles ne passent point ordinairement cette étendue.

     Comme il est rare de trouver un excellent Tremblant-doux, plusieurs bons Organistes touchent la Voix-humaine avec le Tremblant-fort, & y joignent le Nasard avec le Bourdon & le Prestant. Quoique ce mêlange sorte du caractere naturel de la Voix-humaine, c'est cependant ce qu'on peut faire de mieux au défaut d'un bon Tremblant-doux ; mais ce mêlange imite bien imparfaitement la voix naturelle : on ne chante pas si rudement.

 

XVII.

Pour un Dialogue de Cornet, de Cromorne & d'Echo.

     On se servira du Cornet de Récit, ou s'il n'y en a pas, on tirera le grand Cornet : on mettra au Positif le Cromorne avec le Prestant, & à l'Echo le Cornet ; on fera les accompagnements sur les deux 8 pieds du grand Orgue. Si l'on est obligé de se servir du grand Cornet, on fera la basse sur le Bourdon & le Prestant du grand Orgue, qu'on joindra au grand Cornet.

 

XVIII.

Pour toucher le Plain-chant.

     Pour toucher le Plain-chant gravement, on l'exécute sur les Pédales de Trompette & de Clairon, & on l'accompagne sur tout le Plein-Jeu, tant du grand Orgue que du Positif, les Claviers ensemble.

     Si on veut le toucher à la main, & rondement comme une prose, &c, on le fera sur les Trompettes, Clairons & Prestant du grand Orgue : on l'accompagnera sur le Plein-Jeu du Positif ; on pourra mettre les Claviers ensemble, si l'on veut, pour remplir davantage.

 

XIX.

Pour imiter la Flûte Allemande.

     On tirera au grand Orgue & au Positif tous les 8 pieds : on mettra les Claviers [p. 532.] ensemble : on n'y mêlera jamais ni Prestant, ni Flûte de 4 pieds, ni aucun 16 pieds. S'il n'y avoit dans le Positif qu'un Bourdon, sans 8 pieds ouvert, il ne faudroit se servir que du Bourdon.

     Il faut toujours toucher le plus haut qu'on pourra sur ce mêlange, imitant le goût des chants propres à la Flûte.

 

XX.

Pour imiter les petites Flûtes, ou Flûtes à bec.

     On mettra le Prestant du grand Orgue avec celui du Positif ; & s'il y a des Flûtes de 4 pieds, on les y joindra : on mettra les Claviers ensemble.

 

XXI.

Pour jouer une Musette.

     S'il y a dans l'Orgue un Jeu de Musette, on l'ouvrira avec le Bourdon de 8 pieds seulement ; on l'accompagnera avec deux 8 pieds. On met ordinairement un plomb dans la basse sur la tonique & sur sa quinte : on fait deux dessus sur le même Jeu, ou bien le premier dessus sur les deux 8 pieds ; on tient aussi la tonique sur les Pédales de Flûte.

     S'il n'y a pas de Musette, on se servira du Cromorne sans Prestant, & on fera tout le reste comme on vient de le dire.

 

XXII.

Pour imiter le Fifre.

     On mettra au grand Orgue le petit Bourdon, avec la Quarte de Nasard & la Doublette : au Positif, on mettra les deux 8 pieds, le Prestant & le Larigot. On touchera des airs de Fifre & de Tabourin sur le grand Orgue, & on battra sur le Clavier du Positif, pour imiter le Tambour.

 

XXIII.

Pour imiter le Flageolet.

     On mettra au grand Orgue la Quarte & la Doublette ; & au Positif, les deux 8 pieds pour l'accompagnement.

 

XXIV.

Pour imiter les petits oiseaux.

     On mettra le petit Nasard au grand Orgue, un autre au Positif, les Claviers ensemble. On touchera une quarte plus haut, ou une quinte plus bas ; la basse se touchera fort haut.

[p. 533.]

     On imitera le ramage des petits Oiseaux par des batteries, des roulements entrelassés de tremblements & de cadences. La basse se fera à-peu-près dans le même goût.

 

XXV.

Pour accompagner les Voix.

     L'accompagnement des Voix doit être proportionné à leur volume & à leur éclat. S'il faut accompagner un Choeur bien fourni de Voix, & tout un Peuple qui chante, on se servira de tout le Plein-Jeu, & on fera la basse avec les Pédales de Trompette & de Clairon. Hors ce cas, on accompagnera les Voix avec des Jeux de fonds proportionnés. S'il y a plusieurs personnes qui chantent en partie, on les accompagnera avec trois ou quatre 8 pieds, si les Voix sont assez fortes ; ou si elles sont médiocres, on n'y mettra que les deux 8 pieds du Positif. S'il n'y a qu'une personne qui chante, & qu'elle ait la voix assez forte, on l'accompagnera de même. Si la Voix qui récite est foible, on ne se servira que d'un petit Bourdon. Une voix qui chante doit toujours dominer ; l'accompagnement n'est que pour l'orner & la soutenir.

 

XXVI.

Usage des Bombardes.

     Une Bombarde ne se touche jamais seule ; s'il y en a à la Pédale, on la joindra toujours, lorsqu'on voudra s'en servir, aux Trompettes & aux Clairons de Pédale. On s'en sert ordinairement pour toucher le Plain-chant : on peut en faire usage avec le Plein-Jeu, s'il est assez fourni pour cela : on s'en sert encore fort bien au Grand Jeu, où elle fait un grand effet, lorsqu'on la touche à propos, & que le caractere de la piece le demande : il faut avoir pour cela du goût & du discernement.

     S'il y a une Bombarde à la main, elle répond ordinairement au troisieme Clavier, qu'on met avec les deux autres. On s'en sert dans le Grand Jeu, pour des préludes graves ; pour certains grands accords qu'on veut exprimer plus fortement, pour des suspensions ou certains traits d'harmonie, pour des points d'Orgue, pour des finales, & en bien d'autres circonstances, où le caractere & l'expression de ce qu'on joue le demande. Si l'on veut toucher une Fugue grave sur le Plein-Jeu, on peut y joindre la Bombarde, s'il est assez fourni : ce mêlange fait un grand effet, mais on ne peut le faire que lorsque la Bombarde joue par des gravures particulieres ; sans cela elle seroit altérée par le Plein-Jeu ; or ce Jeu à ses gravures distinctes des autres, lorsqu'il joue par un Clavier séparé, qui est le troisieme. On se sert encore de la Bombarde pour toucher à la main le Plain-chant, en la joignant à la Trompette & au Clairon du grand Orgue : on met les Claviers ensemble. En un mot, un Organiste [p. 534.] doit avoir du goût & du génie, pour se servir à propos des Bombardes.




Notes de bas de pages :

     (a) Un Organiste, nommé M. le Bégue a donné au Public vers le commencement de ce siecle, plusieurs pieces d'Orgue. Il a ajouté à son Ouvrage les mêlanges des Jeux qui pouvoient convenir, à quelque chose près, à la maniere dont on construisoit alors les Orgues, & à la qualité de l'harmonie qu'on leur donnoit. Le goût étant changé depuis ce temps-là, à cause des différents usages qu'on fait des Jeux, de la façon de les traiter, il a été nécessaire de faire des changements dans leurs mêlanges. Ceux que je donne ici sont généralement pratiqués à présent, du moins par le plus grand nombre & les meilleurs Organistes.

     (b) Quoique M. Calviere soit mort, j'ai cru cependant devoir le citer, attendu qu'ayant écrit ces mêlanges des Jeux avant sa mort, il avoit eu la complaisance de les examiner & de les corriger le premier. Je suis en état de faire voir ses corrections écrites de sa propre main.

     (c) Je crois devoir attribuer la parfaite réussite de ces deux Voix-humaines, principalement à la bonté du Tremblant-doux, qui ayant été bien rencontré, affecte ces Jeux au juste point.



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