La restauration de Laurent PLET. |
Quelques mots du temple... |
L'orgue, inauguré le 8 mai 1960 par Marie-Louise Girod, ne tarda pas à donner des signes de faiblesse. Toutefois, des concerts purent être donnés correctement jusqu'en 1978 date à laquelle il entra dans sa longue agonie. Au début de l'année 1979, Albert Charra, pasteur de l'époque, décida de prendre contact avec Monsieur Jean Verny, organiste du temple de Nîmes, afin que celui-ci le conseille sur le choix d'un facteur restaurateur. L'orgue, à bout de souffle fut donc visité par Messieurs Soutoul et Trosseille qui firent chacun un devis de restauration auxquels il ne fut pas donné de suites. De plus, un devis fut demandé à Alain Sals, de Malaucène, qui proposa de reconstruire un orgue à la manière italienne avec le matériel existant. Il ne fut pas donné plus de suite à ce dernier devis qu'aux deux autres. Il faudra attendre le 1er juin 1987 pour que Guy Balestier, pasteur succédant à Albert Charra, crée l'Association des Amis de l'Orgue de St-Hippolyte qui ne prendra son réel essor qu'à partir du 14 avril 1989, date à laquelle Monsieur Enguerrand Waag prit les choses en main.
Et ce ne fut pas peu de choses ! Ouvrier facteur d'orgues depuis maintenant une dizaine d'années, je puis affirmer que les méandres administratifs que subissent les collectivités locales pour la restauration de leur orgue sont toujours gigantesques. Lors de sa visite d'expertise, j'entends encore Monsieur Decavèle, illustre expert s'il en est, prédire à Monsieur Waag qu'il aurait de la chance si l'instrument était restauré avant l'an 2000... Je vois ici la preuve que seule la volonté permet de construire ou d'avancer. Celle de Monsieur Waag ne fut pas d'acier mais de titane, et l'orgue fut inauguré quatre ans plus tard.
Avant cela, il fut démonté par l'équipe de Laurent Plet et amené dans son atelier de Troyes en pièces détachées. La partie instrumentale (et non le buffet) fut remontée en atelier, testée, démontée et enfin réinstallée dans le temple de Saint-Hippolyte. Je ne saurais cacher mon admiration pour le travail de reconstitution qui a été effectué. En 1960, Maurice Puget ne s'est pas embarrassé de quelle manière il placerait son matériel moderne Aussi a-t-il fallu au restaurateur beaucoup d'attention pour reconstituer ce qui n'était plus. Mais l'affaire était d'autant moins aisée que le projet de restauration s'accompagnait également de celui d'achèvement du devis de 1853 !
Laurent Plet s'est attaché à occuper la place prévue par Beaucourt et Voegeli pour y installer le matériel sonore répondant au second clavier : le récit. Là où son travail peut être jugé exceptionnel, c'est quand on sait qu'il n'a pas pour cela utilisé ses propres méthodes, mais celles des facteurs constructeurs. Cette humilité fut payante par l'instruction qu'elle nous apporte car nous avons aujourd'hui la possibilité d'observer à Saint-Hippolyte un des rares témoignages musicologiques d'une facture franco-allemande et ce, en plein milieu du XIXe siècle.
On assiste, dans cet instrument, à la naissance de l'ère industrielle avec tout ce que cela peut comporter d'efficacité et d'illogismes à la fois. Il est en effet peu de choses qui ne soient le fruit d'un calcul, d'une opération mathématique, visant à formaliser la facture, souvent en dépit du bon sens. En effet si la charpente peut sans problème soutenir depuis plus de 140 ans la totalité des 872 tuyaux sonores, il faut bien reconnaître que Beaucourt et Voegeli n'ont pas prévu qu'une structure aussi frêle que celle qu'ils ont installée pourrait faire travailler la mécanique de transmission d'une façon aussi considérable ! Aussi Laurent Plet a-t-il dû - de manière aussi réservée que possible - subvenir à quelques défauts de fabrique que le temps avait révélés. Enfin, on constate que beaucoup de pièces de l'instrument font déjà l'objet d'une fabrication en série, exemple fort novateur pour un orgue de cette époque.
Les coïncidences de la vie m'ont amené - après avoir assisté à la restauration et collaboré à la remise en son de cet instrument - à travailler pendant plusieurs mois sur un autre orgue, en Allemagne cette fois1, construit cinq ans plus tôt par un autre élève du théoricien Töpfer : Schultze. Je ne saurais aujourd'hui dire à quel point j'ai eu le sentiment de « déjà vu » et comme la notion « d'école » en facture d'orgues est une réalité. Je citerai pour exemple la soufflerie qui, au temple de Saint-Hippolyte semble être tout droit importée d'un atelier allemand ! Revenu donc en pays cigalois, je puis aujourd'hui affirmer derechef à quel point nous possédons là une perle rare, tant cet orgue est pourvu de spécificités hors du commun sous nos latitudes ensoleillées.
Comme l'a si justement dit Jean Boyer : « Plus que tout autre instrument de musique, l'orgue reflète l'image d'une culture, d'une vie religieuse, d'une histoire. Ses sonorités s'inspirent presque toujours du parler des habitants, des inflexions et des particularités phonétiques de la langue, de la sensibilité des peuples, à chaque époque. »2 Dire aujourd'hui que la littérature allemande, de Bach à Mendelssohn, puisse être, sans contraintes excessives de timbre, jouée sur l'instrument de Saint-Hippolyte, n'est donc pas un anachronisme démesuré, car il n'y a pas, dans l'histoire germanique, de rupture musicologique comparable à celle produite de ce côté-ci du Rhin par la Révolution de 1789. Mais en contrepartie, il va de soi que la musique dite « classique française » des Couperin, Marchand et autres Charpentier interprétée au temple, relève d'un non-sens car cet orgue n'est pas conçu comme un instrument soliste ou concertant mais bien avant toutes choses pour accompagner le choral luthérien, en un mot, pour soutenir l'assemblée.
Quant au romantiques français comme Boëly, Franck, Saint-Saëns, ou d'autres, ils ne sont pas aussi à leur place qu'il y pourrait paraître. Sans le savoir donc, les Cigalois, habitants de Saint-Hippolyte, dérogent à la règle si bien énoncée par Jean Boyer quand l'orgue de leur temple ne sait, de par ses pères, parler « avé l'acent ».
Gageons que son écoute et sa redécouverte nous émerveillent encore de ce qui fait et construit les peuples : l'échange dans le dialogue et dans la différence.
Notes :
(1) À Markneukirchen, à la frontière de l'ex-R.D.A, côté Est.
(2) Jean Boyer in « Le Monde » du jeudi 26 avril 1990.