L'orgue de BEAUCOURT et VOEGELI. |
Quelques mots du temple... |
L'année 1822 est à double titre capitale aux yeux des protestants de ce village de Saint-Hippolyte ; non seulement elle fût celle qui vit naitre le temple, mais elle fut également celle où vint au monde un enfant qui construirait quelques trente et une année plus tard l'instrument destiné à ornementer la liturgie du culte dominical. En effet, Hippolyte-César Beaucourt est né à Lyon en 1822. Le fait que sa naissance ait eu lieu dans une famille protestante, l'amena sans doute à travailler dans les régions du sud de la France telles que les Cévennes. Son apprentissage s'est effectué autour de 1840-42 chez le facteur alsacien Augustin Zeiger, lui même lancé dans la construction des orgues en 1835. Le chef d'atelier de cette entreprise de facture d'orgues n'était autre que Jean-Melchior Voegeli. Le 8 mars 1846, Beaucourt et Voegeli s'associèrent et créèrent un atelier de facture d'orgues. Voegeli quant à lui a fait son apprentissage pendant huit ans chez le grand organier allemand : Töpfer. Ce dernier est particulièrement connu pour avoir théorisé sur tout ce qu'il est possible d'imaginer dans le domaine de l'orgue et ce, de manière aussi géniale qu'excessive. Tout au long de sa vie, Töpfer n'a cessé d'appliquer dans tous ses travaux cette « Normal Mensur », si germanique, avec une conviction qui le rendra maître d'une école tout à fait particulière. Par ailleurs, on sait que Beaucourt s'occupait plus spécialement de la partie menuiserie de l'entreprise alors que Voegeli, plus technicien sans doute, avait davantage regard sur la tuyauterie et la conception théorique des orgues qu'ils construisaient. De Voegeli, on possède une « Méthode pour la révision des Orgues d'Église, afin d'en reconnaître facilement les défauts de construction, d'en apprécier la précision, et de prouver au Facteur, selon son travail, qu'il a tort ou raison de se glorifier de livrer un instrument à toute garantie » qui donne une idée assez précise de l'esprit dans lequel il travaillait et des obsessions de son auteur, notamment pour tout ce qui regarde l'alimentation d'un orgue.
Comme tout instrument un peu daté, l'orgue du temple de Saint-Hippolyte possède une histoire bien particulière. Mais il faut bien avouer que reconstituer celle-ci dans son intégralité ne fut pas chose simple. En 1990, lorsque j'ai entrepris un relevé complet de l'instrument afin de pouvoir décrire précisément son état et alors que le projet de sa restauration complète était en préparation, nous ne savions rien de la date exacte de la construction de l'orgue. J'ai donc entrepris mes recherches dans les archives de la paroisse protestante de Saint-Hippolyte, archives qui, soit dit en passant, n'étaient pas encore classées comme elles le sont aujourd'hui1. Je dois à Violette Nègre, véritable mémoire vivante de Saint-Hippolyte de m'avoir mis sur la voie en m'indiquant à l'aide de ses archives personnelles la date de 1853.
C'est en effet le 8 mars de cette année là, à 1 heure de l'après-midi, que le président du Conseil Presbytéral de la paroisse protestante de Saint-Hippolyte eut le plaisir d'annoncer à ses coreligionnaires la décision nouvellement prise de construire dans le temple de la ville deux clochers dont l'un serait pourvu de l'ancienne cloche refondue et l'autre d'une horloge destinée à rythmer la vie quotidienne des habitants de la cité. De plus, afin « d'accomplir l'oeuvre d'embellissement du temple »2, il fut décidé d'acquérir en même temps un orgue pour « donner plus d'éclat ainsi que de majesté aux chants de nos psaumes ». En septembre de la même année, il fut décidé que les facteurs Beaucourt et Voegeli de Lyon fabriqueraient l'orgue. Ceux-ci proposaient deux devis : l'un décrivant un instrument de dix jeux dont le coût s'élevait à 10 000 francs et l'autre accompagné d'un récit expressif, au prix de 13 600 francs. Le Conseil Presbytéral n'ayant reçu que 13 300 francs lors de la souscription ouverte pour l'achat de la cloche, de l'horloge et de l'orgue (les clochers étaient à la charge de la municipalité, propriétaire du temple), décida d'opter pour le devis le moins cher en prenant toutefois la précaution de demander aux facteurs constructeurs de prévoir, à leurs frais, les boiseries nécessaires à l'installation d'un récit. L'orgue devait être livré au mois de mars 1854.
C'est le 1er mai de cette même année que le Conseil Presbytéral se réunit pour constater que les facteurs Beaucourt et Voegeli avaient terminé la construction en atelier de leur instrument mais le Conseil leur demanda de ne pas l'installer tout de suite dans le temple car les travaux de construction des clochers n'étaient pas encore achevés. Le matériel a dû arriver dans le courant du mois de septembre 1854 car le 21, on se préoccupait déjà de la date d'inauguration de l'orgue ainsi que du choix d'un organiste et d'un souffleur ; c'est également ce jour là que furent décidés l'emplacement et la couleur de l'instrument. À ce propos, il est intéressant de noter que la couleur de l'orgue tel qu'il nous apparaît aujourd'hui n'est absolument pas celle choisie par les facteurs constructeurs. En effet, ce n'est qu'en 1898 que l'instrument fut repeint en faux noyer alors qu'il était à l'origine peint en blanc mat rehaussé d'or. Ces couleurs étaient fort appréciées par Beaucourt et Voegeli car on les retrouve dans les orgues construits par eux tels que ceux de Beaucaire, du grand temple de Vauvert ou de l'église Saint-Eugène de Marseille. De plus, ces couleurs sont encore couramment utilisées en Allemagne pour les orgues de cette dimension. C'est enfin ce même jour de septembre 1854 que fut décidée l'adjonction des deux jouées latérales afin de « cacher la personne qui fera marcher le soufflet », elles aussi dans le goût des facteurs qui en ont installés de semblables dans l'orgue de l'église Saint-Charles de Nîmes. Après délibération du Conseil Presbytéral, il fut décidé que l'inauguration de la cloche et de l'orgue nouvellement acquis aurait lieu le dimanche 29 octobre 1854 soit un peu plus d'un mois après l'installation de l'instrument. En même temps, on nomma Mademoiselle Anaïs Dussaut première titulaire de l'orgue, poste qu'elle ne dut occuper que quelques années car, en 1864, les registres du Conseil Presbytéral parlent de la démission d'une certaine Madame Alègre « qui pendant une dizaine d'années a bien voulu prêter son appui gratuit et officieux pour toucher les orgues du temple ».
En 1860, l'association des deux facteurs constructeurs prend fin, Voegeli se retirant de l'affaire sans que l'on sache exactement pour quel motif. Mais Beaucourt continuera d'entretenir ses instruments jusqu'en 1869, date à laquelle il remit son atelier à son fils. En 1862, l'orgue, sans doute très peu entretenu et fort utilisé, donne des signes de faiblesse. Aussitôt, le Conseil Presbytéral prend contact avec Beaucourt par courrier mais il ne semble pas qu'il ait donné suite car, en novembre 1864, les registres affirment que l'instrument ne fonctionne plus normalement, faute de n'avoir jamais été soumis à aucune vérification ni subi de réparations. Pour poursuivre ces investigations, on ne fait pas appel à Beaucourt mais à Prosper Antoine Moitessier de passage à Montpellier. Un contrat est passé avec celui-ci au début de l'année 1865 où il est stipulé qu'outre la réparation, Moitessier entretiendra et accordera l'orgue de Saint-Hippolyte moyennant une rémunération de quatre-vingts francs par an. On ne sait combien de temps a duré cet entretien mais, à la fin de l'année 1871, l'instrument ne fonctionne plus et il est important d'y effectuer de nouveaux travaux. C'est avec le facteur Rousselot que le Conseil Presbytéral prend contact en février 1872. C'est lui qui réparera et accordera l'instrument jusqu'en avril 1897, date à laquelle - l'orgue nécessitant une fois encore, une réparation - le Conseil Presbytéral refait appel à la manufacture de Lyon. Il a désormais à faire avec le fils Beaucourt (Hugues) car Hippolyte- César, père, est décédé dans le courant de l'année 1888. Cette réparation fut la plus importante (hormis le massacre de Maurice Puget) dans la vie de l'orgue de Saint-Hippolyte, car on ne parle de la rémunération du facteur (six cents francs) qu'en mars 1898 soit presque un an après avoir pris la décision du relevage. De plus, on trouve sur les portes de l'instrument des inscriptions stipulant que l'orgue a été réparé en mai 1898.
C'est lors de ce relevage que Beaucourt fils remplaça les tuyaux du jeu de fourniture par un jeu de tuyaux de gambe. Cette première amputation de l'orgue par le fils de Beaucourt suit la logique de l'époque, mettant « au goût du jour » l'instrument construit par son père. C'est aussi cette année là que fut repeint le buffet en faux noyer. En mars 1910, Hugues Beaucourt fait savoir qu'il ne peut poursuivre l'entretien et l'accord de l'orgue ; cela apparaît normal quand on sait qu'il a alors soixante-cinq ans et que les voyages entre Lyon et Saint-Hippolyte ne devaient pas être des plus reposants... C'est alors que le facteur Rousselot revient en scène pour l'entretien de l'orgue mais pendant peu de temps car, en 1912, on fait une dernière fois appel à Hugues Beaucourt qui rejette aussitôt la demande.
De 1912 à 1928, on n'entend plus parler des aléas de l'instrument de Saint-Hippolyte ; il faut néanmoins préciser que les années de guerre ainsi que le pacte d'association avec l'Église Réformée Évangélique ont sans doute contribué à une utilisation plus intensive de l'harmonium nouvellement acquis. En mars 1928, on se préoccupe d'accorder et de nettoyer l'instrument.
L'orgue, pendant la seconde Guerre Mondiale ne servit probablement que très peu et ce n'est qu'aux alentours de 1950 que Monsieur Peyronel, alors pasteur de la paroisse, considéra que la concierge du temple était trop âgée pour qu'on lui impose le rude pompage de l'instrument. On décida alors d'installer un moteur électrique qui dut être mis en place en 1949 ou en 1951 car l'on retrouve une dépense assez considérable faite pour l'orgue dans les exercices de ces années (21 000 et 30 000 francs exactement).
Notes :
(1) J'ai retrouvé certains documents relatifs à l'orgue dans des registres d'ensevelissements...
(2) La plupart des citations sont extraites des archives de la paroisse E.R.F. de Saint-Hippolyte.