Les buffets d'orgues, comme les instruments eux-mêmes, ne paraissent avoir pris une véritable importance architectonique que dans le XVe siècle. Les plus anciens buffets dont on ait connaissance ne remontent pas au delà de cette époque. Leur architecture appartient en effet au style gothique fleuri. Les plus importants buffets dont on retrouve la trace sont celui de l'ancien orgue de la cathédrale de Reims, modifié et habillé plus tard dans le style Louis XV, mais dont il y a un dessin4 dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale ; celui de l'orgue de la cathédrale de Chartres, transformé et agrandi plus tard dans le goût du XVIIe siècle, qui avait aussi été établi originairement dans le style gothique ; on en trouve la trace dans le cul-de-lampe qui sert de support à l'instrument actuel, beaucoup trop petit pour le contenir, et dans le soubassement du buffet d'orgues lui-même.
La cathédrale de Perpignan possède encore aujourd'hui un des plus grands et des plus anciens buffets. Les peintures des volets qui recouvraient autrefois les tuyaux de la façade portent la date de 1504 : Ce buffet est un des plus vastes que l'on ait construits à cette époque de transition, où l'art gothique semble s'éteindre et où vient prendre place l'architecture de la Renaissance. L'exécution du travail présente, notamment dans les divisions de l'appui de la tribune, une richesse d'ornementation, une finesse de détails et de profils très-remarquables.
Ce buffet, vraiment monumental, occupe une des divisions latérales de la vaste nef de Saint-Jean, vers le centre de la cathédrale. Il est posé sur une tribune pratiquée à environ 5 mètres du sol de l'église et s'élève au-dessus de cette même tribune, sur une largeur de 7m,50, à une hauteur de 15 mètres. Il est divisé en douze compartiments contenant ensemble une centaine de tuyaux de décoration, dont les plus grands ont environ 10 mètres et les plus petits 2 mètres.
Dans, le XVIe siècle, on paraît être sorti de la forme un peu trop plate donnée jusqu'alors à la façade de ces instruments ; on a cherché aussi à varier, autant que possible, les hauteurs des différentes subdivisions des buffets pour les mettre plus en rapport avec la constitution de l'instrument.
Le buffet du grand orgue de la cathédrale du Mans est un des plus importants que nous connaissions dans le style de la Renaissance. Toutefois, cette grande façade, qui n'a pas moins de 10 mètres de largeur sur une hauteur de 15 mètres, se trouve encore établie sur un plan rectiligne divisé par une série de pilastres formant de faibles saillies, et cette longue subdivision de plates-faces présente, suivant nous, un peu trop de monotonie. L'élévation de ce même buffet est d'un fort bel aspect ; mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est la construction et la décoration de la tribune établie en bois en même temps que le buffet d'orgue ; le plafond se trouve divisé en plusieurs compartiments de petites voûtes formant pendentifs, terminés par des culs-de-lampe sculptés d'un très-joli effet.
La balustrade, dont la partie centrale est occupée par le buffet du positif5 , présente de chaque côté une série de petites niches ornées de statues séparées, par de petits pilastres.
Le buffet d'orgue de la cathédrale de Saint-Brieuc, dont nous donnons le dessin (Pl. XXII) a été apporté d'Angleterre en 1540. Cet orgue, à son origine, n'avait pas de positif ; on remarquait encore dans les boiseries de l'ancien instrument la place du clavier qui était situé derrière le buffet6. Le positif qui existait avant sa récente restauration avait été ajouté à la construction originaire ; la forme et la construction étaient de mauvais goût et ne s'accordaient guère avec la richesse d'ornementation du grand buffet.
Sur la demande de Mgr Le Mée, évêque de Saint-Brieuc, le gouvernement accorda, en 1847, les fonds nécessaires pour la reconstruction de la partie instrumentale de cet orgue, qui ne répondait plus au progrès de l'art et aux besoins du service du culte. L'agrandissement de l'instrument entraînait nécessairement celui du buffet et de la tribune. Le plancher de cette tribune, originairement établi au moyen d'une simple poutre qui traversait la nef, avait été plus tard soutenu par deux énormes colonnes d'ordre dorique grec, dont la présence contrastait singulièrement avec la finesse d'ornementation du buffet en même temps qu'elle gênait la circulation à l'entrée de l'église. Sur l'ordre de Monseigneur, le buffet et la tribune furent démontés pour être modifiés et agrandis ; et, comme on le pense bien, ces boiseries, qui avaient déjà trois siècles d'existence, se sont trouvées usées et perdues en grande partie ; la restauration du buffet, comme celle de l'instrument, devenait donc, par la suite de l'état de vétusté, une véritable reconstruction. Ayant été prié par Monseigneur et par l'architecte7 de nous charger de cette restauration, et de la direction de toutes les parties de ce travail important, nous avons été assez heureux pour le voir mené à fin à la satisfaction générale8.
En examinant le grand buffet (Pl. XXIII), que nous avons fidèlement conservé, on voit que, à cette époque du XVIe siècle, on avait cherché à rompre la monotonie des plates-faces par des tourelles garnies par des faisceaux de tuyaux. Le plan de ce buffet présente les trois formes les plus en usage, savoir : les tourelles circulaires, les tourelles triangulaires et les tourelles polygonales habituellement formées par un demi-hexagone.
L'élévation (Pl. XXII), est aussi dans de bonnes conditions pour la sonorité ; elle représente assez fidèlement la conformation intérieure de l'orgue : les grands tuyaux de basse dans les parties latérales et les petits tuyaux des dessus dans le milieu de l'instrument.
La coupe (Pl. XXIV), indiquant la construction de la tribune à laquelle nous avons donné, par le moyen des fermes moisées entre elles, toute la solidité et toute la rigidité possibles, la coupe, disons-nous, peut donner en même temps une idée de la composition mécanique et instrumentale du nouvel orgue ; l'examen de ce mécanisme délicat et compliqué suffira, nous le pensons, pour faire comprendre que, si un orgue semblable se trouvait posé sur un plancher peu solide ou seulement capable de fléchissement, il y aurait là une cause incessante de dérangement et de destruction pour l'instrument.
Nous citerons encore comme modèles du style de la Renaissance, le buffet d'orgue de l'église Saint-Maclou de Rouen, celui de Saint-Bertrand-de-Comminges, dans les Pyrénées, près Saint-Gaudens, l'orgue de Notre-Dame de Dijon, etc. C'est donc bien certainement dans le XVIe siècle que l'orgue et son architecture ont pris leur vrai caractère.
Au XVIIe siècle, au fur et à mesure que l'art de construire les orgues se perfectionne, les buffets prennent un plus grand développement. Il va sans dire que l'ornementation du temps s'est reflétée dans l'architecture de ces instruments. Il existe encore aujourd'hui un grand nombre de buffets de cette époque ; nous citerons particulièrement celui de Saint-Nazaire de Béziers, construit en 1623, par Poncher, facteur d'orgues flamand ; le buffet de l'église de Saint-Étienne du Mont, à Paris ; et celui de la cathédrale de Toulouse, très-hardiment posé sur un simple cul-de-lampe en pierre d'où semble s'épanouir une vaste tribune en encorbellement, surmontée d'un grand buffet de la proportion de ceux qu'on nomme 16 pieds en montre.
Dans tous ces buffets la forme circulaire paraît généralement adoptée pour les tourelles. A cette époque, le positif ou petit buffet accompagne toujours le grand orgue. Ce positif, ainsi que nous l'avons déjà dit, destiné primitivement à cacher simplement l'organiste, est devenu plus tard une partie importante de l'orgue.
Au XVIIIe siècle, l'orgue grandit encore et prend des proportions vraiment monumentales. C'est à cette époque que les grandes orgues de 32 pieds en montre se multiplient, notamment en Hollande et en Allemagne. Nous citerons les orgues renommées de Harlem9 et de Rotterdam, le fameux orgue de l'abbaye de Weingarten, dans la Souabe, construit en 1750, par Gabler, maître facteur d'orgues de la ville de Ravensbourg, et dont on trouve la description et une fort belle gravure dans l'Art du Facteur d'orgues par Dom Bedos. Ces instruments gigantesques datent tous de la première moitié du XVIIIe siècle. Nous n'avons pas eu en France, à cette époque, des instruments établis sur d'aussi grandes proportions. Cependant le XVIIIe siècle a été marqué chez nous par de bonnes et belles productions dans cet art et par des artistes dont les noms sont restés célèbres. Les familles Thierry et Clicquot, les frères Des Fontaines, les Cochu, les Dallery dans le Nord ; et, dans le Midi, les Micot, les Lepine, les frères dominicains Isnard et Joseph Cavaillé10 construisirent des instruments remarquables, dont plusieurs subsistent encore. François-Henri Clicquot, notamment, établit quantité d'instruments de premier ordre : les orgues de Saint-Gervais, de Saint-Nicolas-des-Champs et de Saint-Merry, à Paris ; l'orgue de la chapelle du château de Versailles et un grand nombre d'autres en province. Nous citerons également, à Paris, les buffets d'orgues de Notre-Dame, celui de Saint-Roch, dans le style Louis XV, et enfin, comme modèle du genre, le joli petit buffet de l'Église Notre-Dame-des-Victoires, dont la forme et les proportions nous paraissent avoir été étudiées avec beaucoup de soin et de goût.
On trouve encore en France quelques beaux buffets dont l'ornementation ce rapporte au style des temps de Louis XIV et de Louis XV : le buffet d'orgues de la chapelle du palais de Versailles, un des meilleurs types du genre et qui s'harmonise si bien avec la décoration de cette magnifique église ; le buffet d'orgue de Saint-Pierre de Caen, qui est un beau modèle taillé par un très-habile sculpteur de l'époque, nommé Largilière ; celui de Notre-Dame de Saint-Omer, établi, en 1747 par Jean Piette, maître menuisier, auteur du dessin, et Antoine Joseph Piette, sculpteur, demeurant à Saint-Omer11 ; le buffet de l'église royale de Saint-Quentin, établi, de 1697 à 1703, par Thiery et Robert Clicquot, facteurs d'orgues.
Sous Louis XVI, l'architecture des buffets d'orgues paraît en décadence : on trouve en effet peu d'exemples à citer, où se reproduise le style architectonique de ce temps. Le buffet d'orgues de Saint-Sulpice, à Paris, construit, en 1781, par Chalgrin, architecte, est sans doute l'ouvrage le plus important de cette époque. Malheureusement cet architecte nous paraît avoir été ici mal inspiré en voulant sortir de la forme consacrée pendant plusieurs siècles pour les buffets d'orgues ; il a établi un temple antique en menuiserie, dont les proportions seraient plus que suffisantes pour être construit en pierre.
Ce buffet ou plutôt ce temple, qui n'a pas moins de 12 mètres de largeur sur 14 mètres environ de hauteur, se compose d'un soubassement massif surmonté de huit grandes colonnes couronnées d'un large entablement. Les entre-colonnements sont garnis de statues derrière lesquelles sont placés, au deuxième plan, les tuyaux d'orgues. Ce buffet n'est nullement approprié à sa destination. Les grosses colonnes et la présence des statues au devant des tuyaux empêchent la libre propagation du son de l'instrument, et, malgré la science du célèbre facteur Clicquot, qui avait donné à cette uvre tous les soins et tout le développement dont il était capable, la voix de cet orgue est restée constamment étouffée et emprisonnée, pour ainsi dire, dans cette lourde enveloppe de menuiserie.
L'ancien orgue de Saint-Sulpice, le chef-d'&oeuvre du célèbre facteur Clicquot, a été complètement reconstruit et enrichi de tous les perfectionnements de l'art moderne, par la maison A. CAVAILLÉ-COLL, en 1862.
Cet orgue est aujourd'hui le plus considérable d'Europe. Il possède 5 claviers complets et un pédalier ; 118 registres ou jeux ; 20 pédales de combinaison et environ 7,000 tuyaux. Les plus grands tuyaux sont de 32 pieds, soit 10 mètres environ de longueur, et les plus petits ont à peine 5 millimètres. C'est entre ces limites extrêmes que se produisent tous les sons perceptibles, dont l'étendue est de 10 octaves.
L'intérieur de l'instrument est distribué en sept étages, depuis le sol de la tribune jusqu'à la voûte, sur une hauteur de dix-huit mètres. Quatre étages sont occupés par le mécanisme, et les trois autres par les tuyaux.
Les claviers sont placés sur un meuble en avant du buffet d'orgue. La transmission de tous les mouvements, soit des claviers soit des registres, se fait par des moteurs pneumatiques de nouvelle invention, dont la première application a eu lieu à Saint-Sulpice.
D'autres découvertes non moins importantes, et les proportions exceptionnelles de l'instrument, font de l'uvre Saint-Sulpice l'orgue la plus complète de la facture moderne.
Les événements qui suivirent la révolution de 1789 vinrent suspendre ce genre de construction. Pendant près d'un demi-siècle, la facture d'orgue s'étant trouvée privée de travaux, est restée tout à fait stationnaire en France. Heureusement pour cette industrie, l'ouvrage de Dom Bedos, publié de 1766 à 1778, avait consacré les traditions de l'art à l'époque de son apogée.
Après les troubles politiques qui désolèrent alors la France, les travaux de la facture d'orgues furent seuls bornés à la réparation des anciens instruments que le vandalisme révolutionnaire n'avait pas complètement dévastés. Pendant plus de quarante ans, il ne se construisit pas en France un orgue neuf de quelque importance.
En 1827, Sébastien Érard, déjà célèbre dans la fabrication des pianos et des harpes, vint donner la première impulsion pour régénérer l'art du facteur d'orgues, qui s'était, pour ainsi dire, endormi chez nous. Il présenta, à l'exposition du Louvre, un orgue de moyenne dimension, qui excita vivement l'attention des amateurs et du public. Cet instrument se faisait remarquer par la belle qualité des sons, et surtout par de nouvelles dispositions et la précision du mécanisme. Malheureusement l'homme de génie, qui avait déjà tant fait pour le perfectionnement du piano et de la harpe, ne vécut pas assez longtemps pour doter l'orgue des mêmes avantages. Le seul instrument qu'il eu le temps de faire, après celui dont nous venons de parler, fut l'orgue qu'il construisit pour la chapelle des Tuileries. Il était en train de placer ce dernier instrument, lorsque la révolution de 1830 vint interrompre son travail et dévaster une partie de cet ouvrage12. Sébastien Érard survécut peu de temps ; il mourut dans son château de la Muette le 5 août 1831.
En 1833, le gouvernement ayant décidé de faire établir un grand orgue dans l'église royale de Saint-Denis, le ministre de l'intérieur, M. Thiers, invita l'Institut à lui indiquer les moyens de mettre ce projet à exécution. Une commission fut nommée au sein de l'Académie des beaux arts, qui ouvrit un concours parmi les facteurs d'orgues. Cinq concurrents se présentèrent, savoir : Pierre Érard, John Abbey, Callinet, Dallery et A. Cavaillé. Le projet de ce dernier fut adopté. La construction de cet orgue, le plus considérable qui eut été fait jusqu'alors en France, dura plusieurs années. Il fut inauguré le 21 septembre 1841. Il ne nous appartient pas de faire ici l'éloge d'un instrument que nous avons établi ; qu'on nous permette de dire seulement que c'est à partir de cette époque que l'art du facteur d'orgues semble avoir repris faveur en France et marqué quelques progrès.
Le buffet de cet orgue, composé par l'architecte de l'église de Saint-Denis, M. F. Debret, malgré les critiques dont il a été l'objet, est encore, suivant nous, l'ouvrage le plus complet et le plus remarquable qu'on ait exécuté dans le style du moyen âge.
Nous ne citerons pas comme modèle à suivre le buffet d'orgue de la Madeleine, dont les divisions trop uniformes enlèvent à l'aspect de l'instrument son vrai caractère, bien que l'ensemble de l'orgue, en se reliant heureusement avec le porche intérieur en menuiserie, forme un tout d'un aspect assez monumental13.
Le buffet d'orgue de Saint-Vincent de Paul nous semble mieux approprié à la conformation de l'instrument14. L'habile architecte du monument, M. Hittorff, a su donner la variété nécessaire aux proportions harmoniques des tuyaux, tout en conservant une bonne ordonnance architectonique. La forme générale est celle d'un arc de triomphe.
Enfin, l'ouvrage le plus récent et le plus important qu'on ait fait de nos jours est bien, sans contredit, le buffet d'orgue construit à Saint-Eustache sur les dessins de M. Baltard15. Parfaitement approprié aux conditions de l'instrument, ce grand buffet est un des plus beaux ornements de cette magnifique église.