Les grandes orgues d'église, indépendamment de leur bonne confection et de la sonorité du vaisseau qu'elles occupent, doivent une grande partie de leur succès à leur situation, relativement au lieu où elles doivent se faire entendre, et à la disposition même de la tribune qui les supporte.
On remarque généralement que ces instruments perdent beaucoup de leur effet sonore lorsqu'ils sont placés dans les parties élevées d'un monument, et qu'ils gagnent, au contraire, à être situés dans les parties les plus basses. Les petites orgues de choeur offrent un exemple frappant de cette vérité. Si l'on compare, en effet, le volume de son de ces instruments, eu égard à leur petite dimension, on est étonné de la puissance qu'ils déploient relativement aux grandes orgues du même monument, qui contiennent huit ou dix fois autant de jeux et d'une proportion plus considérable. On trouve l'explication de ce phénomène dans la place occupée par ces deux espèces d'orgues et d'où elles propagent leurs ondulations sonores dans toutes les parties de l'église.
La propagation du son, comme on sait, a lieu dans toutes les directions possibles et avec la même vitesse dans tous les sens ; on peut donc considérer le lieu où le son se produit comme un centre d'où partent une infinité de rayons sonores qui engendrent dans l'air les ondulations par lesquelles l'impression des sons arrive à notre oreille.
On sait également que l'intensité des sons augmente ou diminue avec la densité de l'air, et que les ondulations engendrées dans l'air condensé ont beaucoup plus d'action sur l'air moins dense que n'ont, au contraire, les ondulations de l'air raréfié sur un fluide moins dilaté ; d'où il résulte que l'intensité de la propagation des sons doit augmenter de bas en haut et diminuer, au contraire, dans une direction opposée. On voit par là qu'un orgue placé dans le bas d'une église devra produire beaucoup plus d'effet que le même instrument situé dans une position plus élevée.
A ces considérations nous devons en joindre d'autres non moins essentielles et qui ont pour objet de signaler la confusion de sons qu'on remarque généralement dans les grandes orgues. On est dans l'habitude, principalement en France, d'adosser ces instruments contre le mur du portail d'entrée, sur une tribune plus ou moins élevée, suivant la convenance ou la disposition architectonique de l'édifice. Il suit de là que ces instruments occupent généralement la partie la plus élevée du monument, la plus éloignée du lieu où les sons doivent être entendus, et par conséquent la moins favorable au développement de leurs modulations sonores : les sons ne parviennent qu'à l'aide de réflexions successives répercutées par les voûtes et les différents murs du monument, et la succession de ces répercussions, résultant du plus ou moins d'éloignement des surfaces où les ondes sonores vont se réfléchir, produit la confusion des sons, en même temps qu'elle diminue leur puissance.
D'un autre côté, l'orgue ainsi adossé contre le mur, et circonscrit entre les murs latéraux et la voûte de l'église, ne peut propager les sons que dans la seule direction de la façade de l'instrument, et perd considérablement de son effet. Pour qu'un instrument de cette espèce pût déployer toute sa puissance et toutes ses ressources, il devrait occuper le centre du monument ; les ondulations sonores pourraient se propager alors en tous sens et être entendues directement avec toute leur énergie, et les réflexions du son par les voûtes et les autres parois de l'édifice, à cause de leur équidistance du foyer sonore, arriveraient, non point successivement, comme nous l'avons remarqué plus haut, mais simultanément, et, au lieu de la confusion des sons, on obtiendrait ainsi un renforcement qui ajouterait beaucoup à leur puissance.
Nous devons avouer cependant que, malgré l'avantage que présenterait cette dernière disposition quant à la sonorité de l'orgue, elle ne saurait être appliquée, dans le plus grand nombre de cas, sans porter obstacle à d'autres convenances du monument ; mais il n'est pas moins vrai de dire que l'instrument se trouve trop souvent sacrifié par égard pour quelques lignes architectoniques de peu d'importance. C'est surtout lorsque la tribune de l'orgue n'a pas été prévue dans le projet de la construction primitive de l'édifice que l'instrument subit les conséquences de cet oubli ; car, une fois l'édifice terminé, cette tribune devient souvent un problème difficile à résoudre. Mais si l'on considère l'orgue comme un instrument indispensable dans une église et dont la forme et les proportions doivent être, avant tout, réglées par les lois physiques qui régissent sa construction, la question deviendra plus facile à résoudre, et cet instrument pourra prendre place dans un lieu favorable à sa sonorité.
Sans rien préjuger à l'avance de la meilleure place à donner à l'orgue dans tel ou tel monument, nous signalerons néanmoins quelques dispositions qui nous semblent réunir de bonnes conditions, tant sous le rapport de la sonorité de l'instrument que sous celui de la convenance architectonique.
Nous citerons, en premier lieu, les orgues placées sur des jubés à l'entrée du choeur. Plusieurs églises d'Angleterre offrent de beaux exemples de ce mode de disposition16. L'orgue de Saint-Paul de Londres notamment, placé sur une tribune semblable, se fait entendre dans toutes les parties de ce vaste monument avec un éclat et une puissance qu'on ne retrouve jamais dans des instruments de même grandeur adossés contre le mur du grand portail. Il est aisé de comprendre, en effet, qu'un orgue ainsi disposé, se trouvant isolé de tous côtés, peut mieux que tout autre propager les sons de toutes parts et déployer toute sa puissance.
Un autre mode de placement, que nous rangerons en seconde ligne, consiste dans la disposition des tribunes établies contre les pignons du transept, qui offre, notamment pour les grandes églises, l'avantage de rapprocher l'instrument du choeur et de produire, avec un orgue de moyenne dimension, autant d'effet qu'avec un très-grand instrument placé à l'entrée de l'église.
On trouve plusieurs exemples de cette disposition, tant en France qu'à l'étranger. Nous citerons, en France, les orgues des cathédrales du Mans, de Reims, de Tours, de Chartres et de Strasbourg. Ces deux dernières, toutefois, ne sont pas positivement placées dans les bras de la croix ; elles sont appliquées et pour ainsi dire accrochées contre l'une des fenêtres de la grande nef, dont elles interceptent par conséquent la lumière, sans laisser pourtant à l'intérieur du buffet la place nécessaire pour bien loger ces instruments ; ces deux buffets ont pu être cités pour la hardiesse de leur construction ; mais nous ne les signalerons pas ici comme des modèles à suivre, pas plus sous le rapport architectonique que sous le rapport instrumental.
On trouve dans plusieurs cathédrales d'Espagne deux orgues pareilles placées symétriquement dans les deux bras de la croix. Il arrive même souvent que, par économie, l'on ne fait qu'un seul instrument d'un côté, et l'on figure simplement le buffet d'orgue sur l'autre côté.
L'orgue de la cathédrale de Perpignan, que nous avons déjà cité et dont M. Viollet-Le-Duc a donné le dessin dans son excellent Dictionnaire de d'Architecture française17, est également placé sur l'un des côtés de la nef, auprès du choeur. Les boiseries de ce grand buffet datent du commencement du XVIe siècle.
Enfin, nous rangerons, en troisième ligne, le placement des orgues à l'extrémité de la nef, au-dessus du grand portail. Cette disposition, la plus généralement adoptée, et qui s'arrange le mieux sous le rapport architectonique, ne devient véritablement vicieuse ou mauvaise pour l'instrument que par suite de l'imprévision d'une tribune pour l'orgue dans la construction primitive de l'édifice ; la hauteur exagérée que l'on donne souvent au porche de l'église met dans la nécessité d'établir le plancher de la tribune à une si grande élévation, qu'il ne reste plus d'espace au-dessus pour loger un orgue dans de bonnes proportions, et encore moins dans de bonnes conditions acoustiques.
Nous avons déjà démontré tout l'avantage qu'il y avait à placer les orgues le plus bas possible, par l'augmentation comparative de la sonorité des petites orgues de choeur placées sur le sol même de l'église : nous dirons donc en terminant ces considérations générales : quelle que soit la place qu'on choisira pour y installer un grand orgue, il est essentiel, pour le bon effet de l'instrument, d'établir la tribune le plus bas possible, afin de pouvoir donner au buffet les proportions commandées par la nature même de l'orgue, sans nuire à l'aspect des autres parties du monument. Il est nécessaire aussi de laisser un espace suffisant, du sommet de l'orgue à la voûte de l'édifice, pour que les sons puissent se développer sans obstacle.