Dom Bedos, dans son Traité de l'art du facteur d'orgues, émet, sur cette matière, des observations et des avis que nous ne saurions mieux faire que de reproduire ici textuellement. L'autorité de ce savant bénédictin, que l'Académie des sciences avait choisi pour décrire un art sur lequel il n'existait encore aucun ouvrage didactique, peut être invoquée ici en toute confiance.
« Lorsqu'on veut, dit-il, faire construire un orgue, on est dans l'usage, surtout en certaines villes, de s'adresser premièrement à un architecte, que l'on charge de construire la tribune, de donner le dessin de l'orgue, d'en faire faire les buffets et de les mettre en place. On appelle ensuite un facteur d'orgues, qui, malgré un nombre d'inconvénients qu'il trouve dans un local déjà fait, et auxquels il n'est pas possible de remédier, du moins sans dépense, souvent importante, est obligé de construire l'instrument le moins mal qu'il peut, selon la disposition et les dimensions qu'il a plu à l'architecte de donner au local et au buffet. Il résulte de là un grand préjudice ; l'orgue n'ayant pas été construit dans les règles de l'art, tout y sera gêné, à l'étroit, mal disposé, impossible, ou au moins très - difficile à entretenir, sujet à de grands inconvénients et par conséquent peu solide. On remarque plusieurs exemples frappants de ce que l'on vient de dire, surtout à Paris. Un architecte peut être fort habile dans son art, sans entendre celui du facteur d'orgues, ce qui explique les fautes dans lesquelles il peut tomber ; mais lorsqu'il se concertera avec le facteur d'orgues, il n'aura pas à risquer d'occasionner des obstacles à la bonne disposition, à la sonorité et à la solidité de l'instrument.
« Lorsqu'il s'agit d'établir un orgue, poursuit Dom Bedos, il faut d'abord appeler un facteur qui devra examiner le local où l'on veut le placer. Après s'être convenu avec lui de la force et de la qualité de l'orgue ; selon la grandeur de l'église, la disposition du lieu et la dépense qu'on veut y faire, il en dressera le devis et donnera les principales mesures, tant du local que des buffets, en se concertant avec l'architecte. Celui-ci fera son devis pour tout ce qui est de sa compétence ; il donnera les dessins et les plans, tant de la tribune que des buffets, et fera construire l'un et l'autre, s'il en est chargé, le tout selon les mesures dont on sera convenu.
« Une tribune d'orgue est toujours plus convenable en pierre qu'en bois. Si on la fait en bois, elle doit être construite de manière qu'elle ne puisse faire aucun mouvement.
« Il ne suffit pas qu'elle soit assez forte pour porter l'orgue, il faut de plus qu'elle soit absolument inébranlable ; cela est essentiel. Ceux qui construisent une pareille tribune avec des poutres, quelque fortes qu'elles soient, qui traversent toute la largeur de l'église, sans aucun appui intermédiaire et portant de fond, ne peuvent jamais réussir à la rendre telle : elle fera toujours quelques mouvements ; il faut nécessairement des appuis par-dessous, soit colonnes ou tambour, pour éviter les ébranlements : le moindre mouvement est toujours si préjudiciable à l'orgue qu'il en est bientôt dégradé, surtout dans la partie mécanique. »
Le buffet d'un orgue étant destiné à renfermer et à orner la partie mécanique et instrumentale de l'orgue proprement dit, les dimensions et la forme devront être subordonnées à celles de l'instrument. Il est donc indispensable, comme le fait remarquer Dom Bedos, avant de fixer les dimensions du buffet, d'arrêter d'abord avec un facteur d'orgues les proportions de l'instrument.
Il n'est pas possible de fixer à priori toutes les proportions des buffets, le même orgue pouvant varier de forme et de dimension, suivant la disposition de l'église ou de la tribune. Mais si l'on ne peut déterminer à l'avance la forme générale des buffets, il y a néanmoins des proportions commandées par la nature même de l'instrument qu'on ne saurait méconnaître sans porter atteinte à ses qualités essentielles : nous voulons parler des dimensions des tuyaux de décoration ou de montre.
Il est d'usage de décorer les buffets d'orgue avec de grands tuyaux en étain poli, lesquels tuyaux, contrairement à l'opinion de beaucoup de gens, ne doivent pas seulement servir à orner les buffets, mais aussi être utilisés à la sonorité de l'orgue en servant de basse aux jeux principaux. Or ces tuyaux ont des dimensions déterminées par les lois physiques qui régissent leur tonalité, qu'on ne saurait altérer sans nuire à l'homogénéité des sons et partant à la qualité de l'orgue.
Il est donc aussi essentiel que raisonnable de disposer les compartiments du buffet de manière à pouvoir y placer ces grands tuyaux dans leurs véritables proportions, sans cela il faudrait y suppléer par d'autres tuyaux placés à l'intérieur de l'orgue, faisant double emploi, et dont la sonorité n'est jamais bien homogène avec les premiers. Il est aisé de comprendre en effet que ces tuyaux de montre, naturellement placés dans les meilleures conditions pour émettre leur sonorité dans l'église, seraient, au contraire, des obstacles à la sonorité des tuyaux intérieurs, si, par défaut de proportion, on était obligé de les laisser muets et inutiles.
Il est quelquefois nécessaire, pour compléter l'ornementation d'un buffet d'orgue, d'y placer quelques-uns de ces tuyaux muets et de simple décoration18, mais le meilleur buffet, sans contredit, est celui où tous les tuyaux de montre sont utilisés au profit de l'instrument.
La dimension des tuyaux de montre a même servi dès l'origine, à dénommer la proportion des orgues. Ainsi on dit : un grand orgue de 32 pieds en montre, celui dont les grands tuyaux ont environ 32 pieds de corps sonore sans compter la partie conique formant le pied de ce même tuyau, ce qui porte la longueur totale à environ 12 mètres ; ce sont là les orgues de la plus grande dimension19. Elles rendent les sons les plus graves que notre oreille puisse percevoir, et comprennent en général toute l'échelle des sons perceptibles, depuis l'ut grave des tuyaux de 32 pieds jusqu'au fa aigu du jeu de Larigot, qui sonne à la quinte et qui, par conséquent, fait entendre l'ut de la dixième octave. On ne trouve ces grands instruments que dans de très-vastes églises, notamment en Hollande, en Allemagne et en Angleterre. Nous n'avons pas encore en France d'aussi grands buffets d'orgues.
Viennent ensuite les orgues dites de 16 pieds en montre, dont on trouve le plus d'exemples dans nos grandes églises de France. On fait aussi des orgues de 8 pieds en montre. C'est la proportion usitée dans les petites églises.
Enfin, et comme dernière limite, les petites orgues de 4 pieds en montre ; proportion des orgues de chapelle.
C'est entre ces limites extrêmes des orgues dites de 32 pieds et de 4 pieds, que sont comprises les dimensions de tous les buffets d'orgues. Nous devons faire remarquer qu'en dehors de ces proportions normales de 32, 16, 8 et 4 pieds, il arrive souvent, à cause des conditions de l'emplacement, qu'on ne peut faire commencer les tuyaux de montre que par des dimensions intermédiaires ; dans ce cas, on est obligé de compléter la basse par des tuyaux en bois placé à l'intérieur de l'orgue. Mais ce qui importe le plus, c'est qu'à partir des premiers tuyaux qui sonnent à la montre, il y ait une suite progressive dans leurs dimensions de manière à obtenir l'homogénéité des sons si nécessaire à tout bon instrument.
On comprend en effet que, si l'on ne peut avoir une série régulière de tuyaux de montre et qu'il faille intercaler des tuyaux placés à l'intérieur de l'instrument, et, par conséquent, dans d'autres conditions acoustiques, il sera très-difficile, pour ne pas dire impossible, de les égaliser de timbre et d'harmonie, en un mot, de les harmoniser20.
Nous donnons ci-après trois tables, à l'aide desquelles on réglera facilement une bonne disposition pour la montre,
La première (A) indique les dimensions des tourelles ; la seconde (B), la progression des diamètres des tuyaux de la montre ; la troisième (C), la progression des longueurs des ondes sonores correspondant au ton des tuyaux d'après le la normal de 880 vibrations par seconde.Dom Bedos, dans son Traité de l'art du facteur d'orgues, a donné une table, analogue à celle (A), des proportions des tourelles, laquelle a été reproduite par Roubo et les différents auteurs qui l'ont suivi. Mais les mesures de cette table sont indiquées d'après la grosseur des tuyaux correspondant à l'ancienne tonalité qui est de près d'un ton au-dessus de la tonalité moderne.
Il était donc nécessaire de refaire cette table pour la mettre en rapport avec les besoins de l'art actuel et de la nouvelle tonalité.
Indépendamment des proportions des tourelles circulaires indiquées dans la table de Dom Bedos, nous avons ajouté à la nôtre les proportions des tourelles triangulaires, qui nous paraissent les plus convenables, après les circulaires pour le bon arrangement des tuyaux. Nous avons de plus indiqué la hauteur des pieds du plus grand tuyau de chaque tourelle et la hauteur des corps sonores de ces mêmes tuyaux, que nous avons supposée égale à la longueur de l'onde sonore correspondant à leur tonalité, afin que, en ajoutant ces deux hauteurs ensemble, on eût pour la hauteur des tourelles assez d'espace pour que le son des tuyaux puisse se développer sans gêne.